Sur fond de crise agricole, les organisations professionnelles agricoles parlent de difficultés des paysans, de manque à gagner, de reconversion, de faillite… voire même de suicides, sans réellement savoir de quoi ils parlent.

J’étais agriculteur. Eh oui ! Je viens de quitter ce métier qui me passionnait plus que tout. Depuis mon plus jeune âge, j’en rêvais, j’avais ça dans le sang ! Tout en pouvant garder la liberté dans l’organisation de mon travail, ce noble métier était pour moi source d’espoir et de fierté ; l’opportunité de poursuivre ce que m’ont transmis mes ancêtres pour nourrir mes concitoyens !

Je voudrais à présent témoigner de l’esclavagisme par lequel je suis passé.

J’étais, comme beaucoup d’agriculteurs installés dans la Nièvre, polyculteur-éleveur : autrement dit tout et rien à la fois (trop d’une production et pas assez de l’autre). Depuis mon installation, à l’époque où le cours des bovins et des céréales était acceptable, j’ai acheté mon cheptel : 1300 € par bête en moyenne. Je précise tout de même que mes parents ne m’ont pas installé dans des chaussons, si vous comprenez ce que je veux dire. Tout d’abord ils n’en avaient pas les moyens, et puis il y avait aussi mes frères. À cette époque, mon étude prévisionnelle, sans être optimiste, me laissait présager un avenir pas forcément facile, mais correct et convenable.

Puis tout s’est succédé, accumulé et détérioré : apparition de la FCO avec tous les frais annexes imprévus, chute des cours, marchés fermés, trésorerie bouleversée, sécheresses, inondations… La crise de 2009 est arrivée avec les aides « Sarko » à rembourser sur 5 ans. Enfin, ce que l’on appelle « aides » sont en réalité des prêts de substitution ou de fonds de roulement, autrement dit des prêts pour faire face aux échéances des prêts déjà existants, mais rien de gratuit : on ne fait que repousser la date butoir !

2015 : rien ne va plus ! Alors que les aides Sarko n’étaient pas encore finies d’être remboursées, nous sommes confrontés à un nouveau marasme. Nouveau plan d’aides enfin, si on peut appeler ça des aides : année blanche, avec 1/3 des frais à ma charge, 1/3 à la charge de l’État et 1/3 à la charge de la banque, mais comme on ne connaît pas le coût réel, on devine qu’il est facile pour les banques de faire parler les chiffres comme elles veulent. Rappelons tout de même qu’elles empruntent à l’époque à taux négatifs. Quant aux aides FAC, MSA, TFNB, impôts… ce n’est que de la poudre aux yeux ! Les critères d’éligibilité (taux de spécialisation, % perte d’EBE…) mis en place font qu’à chaque fois je passe à la trappe comme beaucoup de mes collègues. On a donc fait grossir la patate chaude pour la repousser un peu plus loin.

Nous sommes pris en étau entre un cheptel qu’il faut continuer à nourrir, un propriétaire avec qui nous avons signé un bail… et des prix non rémunérateurs, des aides PAC qu’on attend indéfiniment et dont souffre la trésorerie de l’exploitation, mais qui font le bonheur de la banque, toujours prête à faire la transition en captant un maximum au passage (frais, garanties…). À cela s’ajoute le jeu de la coopérative, qui cherche tous les prétextes pour minorer le prix des céréales (toxines, impureté, ergot, PS…) mais qui ne les majore pas face à la qualité ! Et s’accapare la valeur ajoutée sans redistribution aux sociétaires.

2016 : année catastrophique en rendements et en prix. On annonce aux agriculteurs qui ont bénéficié de ces mesures en 2015 qu’ils n’y ont pas droit en 2016… Comprenez : « on sert maintenant les autres ! ». Ceux qui allaient mal en 2015, qui n’ont eu aucune chance de « se refaire » en 2016 vue la conjoncture, on les laisse crever à feu doux, alors que ce sont finalement ceux qui en ont le plus besoin ! Quelle solidarité… Et que dire des jeunes installés qui n’y ont pas accès avant 5 ans d’ancienneté ! Les aides PAC sont toujours en décalage horaire mais il nous faut faire face de quelque manière que ce soit.

Alors on voit s’agiter la chambre avec ses audits payants, le centre de gestion qu’il faut rémunérer pour son tampon à chaque dossier déposé, la banque avec ses frais d’intervention, de gestion ou d’agios exorbitants, la Coop qui vous propose une ouverture de campagne à des taux inacceptables... Autrement dit, une multitude de parasites qui, au-delà de chercher à justifier leur salaire, en profitent pour s’accaparer le peu d’aides dont nous pourrions bénéficier.

Mais vous, agriculteurs, ne soyez pas dupes ! Tout ce beau monde qui gravite autour de nous n’est qu’un fascisme financier. Nous ne sommes à leurs yeux que des pions, des paramètres de gestion qui doivent être toujours plus profitables à des parasites à qui peut importent que des millions de vies soient brisées car seul le profit les conduit.

Pas encore acculé, mais pas loin de l’être, un repreneur s’est proposé. Je ne vous cache pas que ma décision m’a traversé les tripes de long en large, mais avant que tous ces parasites m’aient tout bouffé, j’ai décidé de partir, non pas la tête haute, car au fond de moi ce métier me manquera, c’était pour moi une vocation, mais pour ne pas porter préjudice à tous les vétérinaires, marchands d’aliments, propriétaires, concessionnaires, avec lesquels je travaillais en confiance et que j’avais de plus en plus de mal à honorer. Malgré des cours au plus bas - le bétail a été négocié à une moyenne de 850 €/bête contre 1300 € l’année de mon installation - cette cession m’a permis de remettre les compteurs à zéro.

Mais quelle ne fut pas ma surprise quand je me suis présenté à la banque « verte » pour solder les prêts en cours et que celle-ci m’annonce une pénalité de remboursement anticipé de 12 % ! Non seulement elle m’a pompé de l’argent durant toute ma carrière avec des frais de toutes sortes mais au final, elle ne cherche qu’à m’achever. Après protestation, les 12 % étaient tombés à 8 %. Sur les conseils du syndicat CR58 qui était prêt à intervenir en force, les frais sont magiquement tombés à 1,5 %. Tout cela pour vous dire qu’il ne faut pas céder. Ce sont des profiteurs.

Et ce qui m’exaspère le plus, c’est que tous ces organismes, ces fossoyeurs des agriculteurs (banques, coops, MSA...) qui n’hésitent pas à nous presser comme des citrons et nous mener en contentieux sont aussi ceux que l’on retrouve aux réunions AGRIDIF (agriculteurs en difficultés) et Agir Agri 58 pour nous « aider » à trouver des solutions !!! Comment peuvent-ils être crédibles ???

Alors qu’il nourrit tout le monde et fait vivre à la fois les campagnes et les villes, le paysan est le mouton noir de toutes les administrations. Aucune aide de la chambre d’agriculture et de l’administration, aucun droit à l’allocation logement sous prétexte que la maison est trop grande, mais que je suis obligé de l’habiter (dans le bail), pas le droit au RSA… Après ma cession, aucun droit au chômage, malgré les années de dur labeur à 70h/semaine avec en moyenne sur toute mon activité 600 €/mois. Aucun financement Vivéa pour envisager une reconversion alors qu’ils ont encaissé mes cotisations tout au long de ma carrière. Je ne dois donc compter que sur moi-même. Heureusement, en agriculture, on connaît et maîtrise tous les métiers, et je ne suis pas fainéant.

Quoi que je me suis surpris, depuis ma cession, à m’étendre dans le canapé pour regarder la télé, chose qui ne m’était pas arrivée depuis belle lurette. En effet, après des journées interminables de travail, souvent le soir, je me plongeais dans quelques paperasseries ou déclarations urgentes à faire avant de me coucher épuisé, ne songeant qu’à ce qui m’attendait le lendemain. La nuit, je la passais très mal, tracassé par les dates de déclarations à ne pas oublier, les factures que je me tortillais à pouvoir payer, les pannes qui me retardaient, l’inquiétude d’un veau malade, la hantise d’un contrôle (sachant qu’il est pratiquement impossible de suivre la réglementation à la lettre) et miné par toutes les responsabilités qui pesaient sur mes deux seules épaules. Eh bien oui, j’étais seul, célibataire, une solitude pesante, des semaines entières avec personne à qui parler, se confier. J’avoue m’être isolé moi-même : pour essayer de m’en sortir, je redoublais d’ardeur, de travail, sans gagner plus pour autant. Je ne pouvais dégager de temps pour des loisirs ou fonder une famille. Je n’en avais même pas les moyens. Mon exploitation avait largement le potentiel pour fournir le travail à un voire deux UTH sauf que financièrement il m’était impossible de les payer.

Tout ceci pour nourrir mes concitoyens mais finalement personne ne s’inquiète de savoir à quel prix et dans quelle détresse ils sont nourris !

Et quand au début de cet article je parle d’esclavagisme, je mesure mes mots. Outre le travail pénible, à près de 70 h/semaine, je voudrais dénoncer nos conditions de vie. Alors qu’on se préoccupe du bien-être animal, des réfugiés… beaucoup de nos fermes n’ont toujours pas l’eau courante, ont un réseau électrique obsolète ou des bâtiments non entretenus par les propriétaires, sans que personne (en l’occurrence la DASS) ne s’en inquiète. Et le pire, pour l’avoir vécu, c’est le manque de réseau de téléphonie mobile et d’internet alors qu’on nous demande de tout télédéclarer, et le prix exorbitant des abonnements par rapport aux citadins « dégroupés » qui ne paient quasiment rien.

Bien qu’ils soient nourris peu cher en qualité et quantité, nos concitoyens n’ont aucune vision de l’esclavagisme que nous subissons. Et quoi qu’en disent nos politiques, ce n’est pas la répercussion d’une augmentation substantielle des prix de nos productions qui impactera le panier de la ménagère. L’abandon des agriculteurs français par nos politiques est immonde ! Ils ont saccagé la beauté de notre noble métier qui reste perçu comme néfaste par la société (assimilant trop souvent les agriculteurs à des pollueurs et des assistés) plutôt qu’utile (nourricier, secteur important de l’économie française, entretien des paysages, biodiversité…). Dans mon secteur, un certain nombre d’agriculteurs cessent leur activité, par choix (cession, retraite) ou de force… Mais les consommateurs ne se rendent pas compte des conséquences sur leur alimentation, les territoires et l’économie. Et je ne leur souhaite pas qu’un jour il ne leur reste que leur portable à manger !

Je pense que pour exécuter convenablement son métier, avec des horaires acceptables et un rythme de vie identique à tous nos concitoyens, un agriculteur devrait pouvoir le faire sur 80 hectares et en vivre dignement. Vu la fluctuation actuelle des cours mondiaux, je pense qu’il est urgent de réindexer le prix du fermage sur le prix des produits.

Je suis maintenant vidé de ce poids de tracasseries, de réglementations, de délais (avant la récolte, avant la vente des animaux), de zonages (ZV, ZNT, Natura 2000)… Depuis quelques jours, je suis désorienté, non pas par le manque de travail, car je sais toujours m’occuper - une maison à retaper, un jardin, une voiture à réparer alors qu’auparavant je n’en avais jamais trouvé le temps - mais par cette liberté de vie, de temps, d’esprit, retrouvée alors que je l’avais perdue depuis longtemps.

 

Fabien Gagnerault, administrateur de la CR58

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