La Coordination Rurale aurait pu écrire 80 voire 85 % du discours du Président de la République prononcé à l'occasion de l'ouverture du SIA 2019, comme en témoigne Joris Miachon, responsable de la section jeunes de la CR, présent à cette inauguration.

« Sur presque une heure de discours, il y a eu beaucoup de choses de positives notamment sur l'ambition française pour l'Europe et sa politique agricole. Beaucoup des mots que le Président a employés ont eu un écho positif tant dans mes oreilles de jeune installé, que dans celles du militant de la CR que je suis. Je comprends parfaitement les applaudissements que ce discours a suscité, pour autant, je m'interroge : nos dirigeants auront-ils la capacité de peser au sein de l'Europe pour tenir leurs promesses et comment cela va se traduire concrètement ?

Du discours d'Emmanuel Macron je retiens trois promesses pour l'agriculture française et européenne : • une promesse de protection, des agriculteurs et des consommateurs. • une promesse de transformation de notre modèle vers toujours plus de valeur et toujours plus d’écologie. • une promesse d’anticipation en misant sur la recherche et en assurant le renouvellement des générations.

Le premier engagement n'est autre qu'un des fondements de la PAC. Ce fondement est malheureusement bafoué depuis 1992 et il est clair que la situation des agriculteurs, sans oublier celle des consommateurs confrontés à toujours plus de produits d'importation, impose de le rappeler à chaque fois que cette politique est en phase de renégociation. La CR y attache une grande importance car, à ce jour, la PAC ne protège plus mais détruit. La délégation française devra faire preuve d'une grande force de persuasion si elle veut faire appliquer les promesses du Président au sein de la prochaine PAC.

Le Président a parlé de mécanisme de régulation des filières plus facilement activables, on ne peut être que d'accord. Mais quand je repense aux longs mois pendant lesquels la Commission a préféré stocker de la poudre de lait avant de mettre en place une réduction de la production, je m'interroge sur notre capacité à faire changer le système de gestion de crise. C'est comme pour la protection vis-à-vis des importations et de notre dépendance au soja OGM : je me réjouis que l'UE ait exclu les produits agricoles des négociations avec les USA, mais je n'oublie ni le Ceta ni le Mercosur. Si le Président peut enfin faire comprendre à l'UE que l'alimentation, et donc les produits agricoles, ne sont pas des marchandises comme les autres parce que vitales et stratégiques, je lui dis chiche, retrouvons notre souveraineté alimentaire !

Concernant la seconde promesse du Président pour aller vers un modèle plus durable, là aussi tout le monde ne peut être qu'en adéquation avec cette ligne directrice, et surtout lorsqu'il affirme que les agriculteurs sont les premiers concernés et les premiers acteurs. Pour autant, la CR craint que cela entraîne une complexification de la PAC allant vers plus de ce prétendu « verdissement »cher aux eurocrates. À ce niveau, les exigences de la CR sont de ne pas mettre la charrue avant les bœufs : vouloir appliquer de nouvelles normes et une montée en gamme des productions avant de mettre fin à la concurrence déloyale des produits d'importation et à notre grave dépendance en protéines est une absurdité. Il faudra se fixer des priorités. Lorsqu'il prend l'exemple du blé français qui doit s'améliorer pour ne plus être en concurrence frontale avec le blé russe ou ukrainien, je me demande à qui donc ce blé sera vendu. En Europe, nous n'arrivons pas à faire appliquer une traçabilité intégrale, alors je pense que les pays importateurs n'en ont rien à faire, et qu'ils achèteront au moins cher. Pour moi, produire mieux, c'est également produire pour l'Europe, et donc réguler.

Enfin, le Président a parlé d'avenir et de la nécessité d'anticiper à travers les capacités de recherches au niveau de l'UE. Les départs en retraite dans les 10 à 15 prochaines d'années vont libérer des terres. Je me réjouis que le président veuille favoriser l'installation plutôt que l'agrandissement, mais aujourd'hui c'est surtout le manque de rentabilité de nos activités qui soit nous empêche de nous installer, soit nous oblige à quitter le métier après quelques années. Sur ce sujet, le début du discours du président a donné, à mon sens, un trop grand satisfecit à la loi EGA. Dans nos fermes, il n'y a aucun effet, et pour aucune des filières prises comme exemples par le Président je n'entrevois d'amélioration. J'ai donc bien peur que ces nouvelles promesses pleines de bon sens et qui correspondent pour beaucoup à celles de la CR, ne finissent comme celles des EGA, en un vaste enfumage, celui-là pour préparer les élections européennes. Car si beaucoup dans la salle ont applaudi, il ne me semble pas avoir vu le commissaire européen de l'Agriculture acquiescer aux propositions du Président.

Nous avons profité de cette inauguration pour remettre nos doléances pour une agriculture d'avenir au Président de la République. Parmi elles, l'injustice touchant certains de mes collègues agriculteurs, installés avec la DJA au début des années 2010. Ils étaient concernés par un critère de revenu maximum (les fameux 3 SMIC), abandonnés avec la nouvelle réforme de la DJA. Les contrôles de fin d'engagement, qui interviennent dans les deux années suivant cette fin d'engagement, conduisent certains d'entre eux à une obligation de remboursement de la DJA ! Ils interviennent après 2 années de crise agricole, de retards de paiement des aides PAC qui ont entraîné des difficultés financières lourdes pour nos exploitations. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, voire dans les situations les plus difficiles, le coup de grâce pour des exploitations déjà exsangues. Nous l'avons dit au président : il faut favoriser l'installation, mais aussi donner aux jeunes déjà en place la chance de pouvoir se maintenir en les libérant d'un dispositif trop contraignant !

Au-delà de toutes ces interrogations, j'ai apprécié lorsque le Président a dit "Faites-moi confiance, que les gens qui vous disent que c’est impossible ne vous encouragent qu’à une chose, le faire encore plus vite et plus fortement", car dans ma tête j'ai entendu la phrase de Sénèque, qui est la devise de la CR : "Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles." »

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