Mardi 6 juillet, Laurence Godin, membre de la CR 89 et éleveuse de brebis à Mélisey dans l'Yonne, accueillait sur son exploitation éleveurs et représentants des services de l'État pour faire un point presse sur la présence du loup dans le département. Cette conférence de presse avait été demandée par l'ensemble des syndicats présents en cellule de veille loup au mois de mars, et tous étaient présents pour faire entendre leurs revendications.

Différents sujets étaient à l'ordre du jour, et notamment la communication envers le grand public sur la présence nouvelle de patous avec les troupeaux, et les comportements à adopter pour les promeneurs. Des pancartes informatives seront fournies aux éleveurs par la DDT pour qu'ils les installent sur leurs clôtures. C'est le point sur lequel venaient communiquer Cécile Rackette, sous-préfète d'Avallon, et Didier Roussel, directeur départemental des territoires, et qui a été le seul sujet (ou presque) mis en avant par la presse, que ce soit dans l'Yonne Républicaine qui en a fait sa une, ou sur France Bleu et France 3 Bourgogne.

Les demandes des éleveurs et les échanges avec les représentants de l’État sur la réalité de la politique de lutte contre la prédation du loup ont bien moins été relayés par la presse.

Les mesures du plan loup clairement insuffisantes

Face au constat des attaques de loups que connaît le département depuis 2018, la sous-préfète et le directeur départemental des territoires ont fait la promotion du dispositif de financement public de chiens et de matériels de protection des troupeaux, mis en place par les arrêtés préfectoraux de cerclage, et... c'est tout. Mais pour les éleveurs, cela ne permet pas une protection complète des attaques de loup, qui n’ont pas forcément peur de s’attaquer à un patou (90 chiens de troupeaux et de protection prédatés par le loup en France en 2019, 60 en 2020), et encore moins de sauter par dessus une clôture de 90 cm de hauteur. Les données sur les dommages que publie la DREAL AURA l’illustrent parfaitement : si des chiens, des clôtures et des bergers suffisaient, ces chiffres ne seraient sans doute pas en augmentation continue depuis des années...

De plus, les conditions de subvention des matériels et chiens de protection sont loin d'être suffisantes : l'éleveur doit avancer les sommes nécessaires à l'achat de ces matériels et espérer ensuite, dans le meilleurs des cas, une prise en charge à 80 % de ces achats (plafond fixé par le plan loup). À ce jour, les achats de patous et de matériels de protection réalisés par les éleveurs en 2020 n'ont toujours pas été indemnisés, les dossiers étant toujours en attente d’instruction. Cela a évidemment été signalé à la sous-préfète et au DDT, qui ont botté en touche.

Laurence Godin précise : «  Nous n’avons pas les moyens financiers pour protéger efficacement les troupeaux. Les éleveurs doivent avancer la totalité des frais liés à l’achat et l’entretien des chiens, des frais d’achat des clôtures et de rémunération d’un berger, avant d’espérer toucher un jour le remboursement de 80 % de ces coûts. Tout cela pèse lourd sur la trésorerie des exploitations, qui manquent de liquidité ou doivent recourir à des emprunts de court terme.

Ces dispositifs représentent également une charge de travail supplémentaire pour les éleveurs, qui ne comptent déjà par leurs heures pour se dégager un revenu. En effet, le plan loup ne prend pas en compte le temps passé à l’installation et l’entretien des moyens de protection, ni le surcoût du travail et le stress engendré. De plus, les aides sont prises sur le budget de la PAC, donc les éleveurs sont doublement perdants. »

Fabrice Trottier, lui aussi éleveur ovin et membre de la CR 89, regrette que seuls les éleveurs situés en zones prédatées l'année précédente (cercles 1 et 2) soient éligibles au financement des matériels de protection et de rémunération d’un berger. Qu’en est-il des autres éleveurs, tout autant susceptibles d'être prédatés, et qui eux n'ont accès qu'au financement de chiens de protection (cercle 3) ? Il n'y a pas de raison valable que tous les éleveurs n'aient pas accès à ces protections, d’autant plus si la passivité face à la prédation est la seule réponse que nous proposent les autorités.

Des tirs de défense et de prélèvement sont nécessaires

Pour protéger efficacement les troupeaux, les éleveurs, tous syndicats et départements confondus, veulent à minima les tirs de défense, c’est-à-dire être autorisés à tirer sur les loups attaquant leurs troupeaux, et non seulement en l’air pour les effaroucher. Cela a notamment été accordé récemment en Haute-Saône et en Saône-et-Loire, où les loups responsables des attaques à répétition ont pu être empêchés de nuire. La préfecture de l'Yonne a pour sa part accepté une seule demande de tirs de défense en novembre 2020 à Jully. Le refus des autres demandes nous semble aussi peu compréhensible qu’argumenté...

Plus généralement, les comptages des populations lupines et sa propagation sur tout l'Est de la France (et jusqu’en Normandie) le montrent : le loup n'est plus un animal menacé d'extinction, et il est nécessaire d'effectuer des tirs de prélèvement pour en réguler la population. La réponse des autorités est que l'Yonne, au vu de sa population estimée de loups, n'est pas prioritaire sur ces tirs de prélèvement, dont les chiffres sont définis au niveau national et contraints par la Convention de Berne - dont la CR demande la révision depuis des années. Un défaitisme d'entrée de jeu qui pour sûr ne contribuera pas à faire bouger les choses.

Pouvoir soutenir les éleveurs prédatés

Les éleveurs demandent une véritable coordination de la lutte contre la prédation au niveau de la région, et une véritable coordination entre les administrations concernées et la profession. En Côte-d’Or, les coordonnées des éleveurs prédatés sont communiquées aux techniciens ovins de la Chambre d’agriculture et à des représentants du syndicat ovin. Chaque éleveur touché par les prédations peut ainsi être aidé et soutenu par d’autres éleveurs, aussi bien professionnellement que psychologiquement. Il a donc été demandé à la DDT de l’Yonne de répliquer ce fonctionnement simple, logique et permettant de sortir des éleveurs en difficulté d’un éventuel isolement : cela a été refusé.

Car oui, la prédation fait peser des risques sur la santé physique et mentale des éleveurs. La profession le sait depuis toujours, même la MSA s’en inquiète et a commandé à l’INRAE une étude sur le sujet. Mais la DDT de l'Yonne ne semble pas concernée. Alors jusqu'à quand va-t-on devoir supporter de laisser les éleveurs seuls face aux dégâts du loup ?

Une relance de l’activité ovine menacée

Enfin, il faut noter que l’Yonne, Chambre d’agriculture en tête, œuvre depuis quelques années pour une relance de son activité ovine : c’est une production sur laquelle se multiplient les installations ou les créations d’ateliers couplés à une production de céréales. Des investissements ont d’ailleurs été réalisés sur l’abattoir de Migennes dans cette perspective. L’élevage ovin correspond aussi à une demande sociétale d’une production extensive, avec un maximum de pâturage, et qui est associé avec des pratiques vertueuses en grandes cultures. Mais le développement de l’activité ovine est totalement incompatible avec la présence du loup. Le surcoût et le surtravail liés à la présence du loup sont complètement oubliés. Ce n’est pas tenable sur le moyen et long terme. Les pouvoirs publics doivent prendre en compte l’ensemble de ces problématiques et ne pas se contenter seulement d’afficher des objectifs.

Cela fait maintenant trois ans que le loup attaque les troupeaux icaunais. Trois ans que les éleveurs se battent pour faire bouger les lignes et préserver leur métier. Mais à ce rythme, combien d’éleveurs restera-t-il quand les pouvoirs publics auront pris la mesure du problème ?

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