Sans surprise, journée pleine de tensions lors de la dernière Section Bovins d’ Interbev, qui se déroulait mardi 26 juin. À l’ordre du jour figurait la mise en œuvre du plan de filière viande bovine. La section était chargée de valider un certain nombre de points issus des groupes de travail qui se réunissent depuis mars dernier. Deux sujets ont été particulièrement houleux : l’adoption d’une méthode d’élaboration d’indicateurs de coûts de production et la révision du cahier des charges Label Rouge afin de répondre aux attentes des consommateurs. Ces débats confirment les prédictions de la CR sur les EGA, condamnés à l’échec en l’absence d’engagement fort des pouvoirs publics pour rétablir l’équilibre entre l’amont et l’aval.

Coûts de production : l’aval bloque toute avancée

Le groupe de travail sur les coûts de production a présenté une méthode permettant de calculer un prix de revient par catégorie d’animaux (génisse, JB, vache, broutard) permettant de couvrir les charges courantes, de rémunérer l’éleveur et de lui assurer une marge d’investissement. Une simulation a été effectuée sur les prix du second semestre 2017 : pour couvrir l’ensemble de ces facteurs, les prix pratiqués auraient dû être augmentés de 20 %. La méthode reste à perfectionner, notamment parce qu’elle repose sur le réseau d’élevages de l’Institut de l’élevage, dont les performances sont meilleures que la moyenne. Toutefois, elle donne des résultats satisfaisants car elle permet de s’adapter à chaque exploitation en fonction du type d’animaux produits. La section devait donc valider le principe général suivant : introduire dans les formules de prix des futurs contrats un indicateur basé sur ces prix de revient. Toutefois, au cours des débats qui se sont étalés pendant toute la matinée, l’aval a cherché par tous les moyens à bloquer toute avancée. La grande distribution n’a pas remis en cause le principe d’utiliser des indicateurs de couts de production, mais souhaitait que la main d’œuvre ne soit pas intégrée dans les calculs. Elle revendique ainsi que le travail des éleveurs n’a aucune valeur, et ne mérite pas d’être rémunéré à son juste prix. Après de houleux débat, elle a finit par accepter le principe d’intégrer la main d’oeuvre. Ce sont les fédérations d’abattage privées qui ont fait part de la plus mauvaise volonté. Au-delà de la méthode, elles ont rappelé à plusieurs reprises qu’un indicateur de coût de production allait dissuader les abatteurs de signer des contrats rémunérateurs. Mais en même temps, elles souhaitent signer un maximum de contrats afin de renforcer leur contrôle des débouchés des éleveurs. Elles ont même laissé entendre qu’elles utiliseraient de toute façon leurs propres indicateurs de coûts de production, sans utilisé l’indicateur unique proposé par l’interprofession. La Coordination Rurale s’est insurgée contre ces contradictions. Elle a rappelé l’état d’esprit des États généraux, qui consiste à rémunérer l’amont à son juste prix afin de mettre fin à la déprise de l’élevage. Cela fait des années que la possibilité de conclure des contrats existe, mais ils ne se sont jamais développés parce qu’ils n’ont jamais été assez attractifs pour les producteurs. Si les abatteurs souhaitent développer les contrats pour coller aux besoins du marché, la moindre des choses serait de payer correctement les éleveurs. Coop de France est restée relativement silencieuse. Rien d’étonnant, dans la mesure où le projet de loi issu des EGA les exclut de toute obligation en terme de prise en compte des coûts productions. S’il n’était pas présent à cette réunion, le responsable de ces tensions mérite d’être pointé du doigt : le gouvernement. L’échec des discussions interprofessionnelles était totalement prévisible en raison du manque d’engagement ambitieux du gouvernement dans l’élaboration de ce projet de loi. Depuis le début des États généraux de l’Alimentation, le gouvernement souhaite laisser les opérateurs privés se charger de la politique agricole et de la rémunération des éleveurs, sans pour autant modifier le cadre juridique qui permettrait de rétablir l’équilibre entre ces maillons. Ainsi, le gouvernement refuse toujours que les interprofessions, ou à défaut l’Observatoire des prix et des marges, élaborent des indicateurs de coûts de production qui s’imposeraient à tous les opérateurs d’une filière. Au nom de la « liberté contractuelle », il souhaite que ces opérateurs puissent construire eux-mêmes leurs propres indicateurs. On ne peut dès lors s’étonner du comportement des abatteurs, qui se contente de jouer selon les règles définies par les pouvoirs publics. Pourtant, avec quels animaux feront-ils fonctionner leurs abattoirs lorsque la moitié des éleveurs sera partie en retraite d’ici 5 ans ?

Label Rouge : les efforts portent encore sur les éleveurs

La section s’est également penchée sur les conditions de production communes qui s’appliquent aux Labels Rouges bovins. Il s’agissait de réviser certains points afin de répondre aux attentes du consommateur pour créer davantage de valeur. Les abatteurs ont souhaité apporter deux modifications :
  • Aujourd’hui les animaux doivent être élevés au pis pendant 4 mois s’ils veulent être labellisés. Les abatteurs souhaitaient remplacer cette exigence par un critère moins contraignant : permettre la labellisation des animaux nourris au lait entier. L’objectif est de favoriser la labellisation des races mixtes. La Coordination Rurale s’est fermement opposée à cette mesure. D’une part, cela n’irait pas dans le sens des demandes sociétales, qui critiquent le fait de séparer les veaux de leur mère. D’autre part, cela conduirait à exacerber la concurrence entre éleveurs, alors que les races à Viande offrent des effectifs largement suffisants pour atteindre 40 % de viande sous label Rouge. Coop de France a soutenu l’opposition de la CR, la mesure n’a pas été validée.
  • Il y aura désormais un cahier des charges spécifique « Junior » destiné à la labellisation des jeunes bovins. Le groupe Bigard souhaitait que ce cahier des charges intègre la possibilité de labelliser des veaux croisés lait/viande. La fédération de la boucherie s’est opposée à cette évolution, qui n’a pas été adoptée.
  D’autres évolutions portées par différentes familles ont été examinées :
  • Un critère d’absence d’OGM dans les rations a été introduit.
  • La section a également validé un alignement sur le cahier des charges Bio en ce qui concerne l’usage des antibiotiques : il s’agit de limiter les traitements à 3 par an pour les animaux de plus d’un an.
  • Actuellement, il existe un critère de chargement maximal de 2 UGB / ha de SFP. Ce critère a été supprimé pour être remplacé par un critère d’autonomie alimentaire, jugé plus parlant pour le consommateur : seules les exploitations ayant un ratio d’autonomie alimentaire supérieur à 80 % pourront être labellisées. La CR avait exprimé son scepticisme vis à vis de ce critère qui devrait exclure entre 5 et 10 % des éleveurs du Label Rouge. Il a malgré tout été validé.
  • Les fédérations d’aval n’ont en revanche pas fait preuve de la même bonne volonté lorsque fut venu le moment d’aborder les points les concernant. Ainsi, le groupe de travail Label Rouge a proposé d’étendre la durée de maturation minimale des viandes Label Rouge à 15 jours, contre 10 jours actuellement pour les carcasses et 13 pour le piécé sous-vide. Cette évolution est impérative afin d’améliorer la tendreté des viandes, qui reste le premier critère d’achat du consommateur.
Malgré des débats houleux, les fédérations d’abattage sont restées campées sur leur opposition, démontrant encore une fois leur absence totale de volonté d’avancer pour le bien de la filière. Alors que les fédérations d’amont ont bien voulu avancer sur l’autonomie alimentaire, elles regrettent que les abatteurs ne soient pas capables de faire la moindre concession.

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