Le feuilleton des négociations commerciales entre industriels laitiers et enseignes de la grande distribution s’est largement étalé dans les médias spécialisés ces dernières semaines. À grand renforts de communiqués de presse, les participants soulignaient chacune des « avancées » obtenues notamment en matière de prix. La plupart des parties prenantes se satisfaisant plus ou moins de ce nouveau round de négociations, il convient de prendre un peu de recul pour analyser quel sera l’impact des accords conclus.

(Tableau non exhaustif récapitulant les négociations commerciales)

Les prix annoncés

La supercherie des EGA qui ont conduit à la signature d’une charte puis à une loi, a pris toute sa dimension lors de ces négociations annuelles. Alors que le CNIEL a validé, non sans mal, un indicateur de coût de production à 396 €/1 000L (chiffre 2016, mais 422 € en moyenne sur les 5 dernières années), comment les participants aux négociations, qui pour beaucoup étaient signataires de la charte, peuvent s’entendre sur des prix oscillants aux alentours de 370 €. Tout l’aval de la filière s’entend une nouvelle fois pour acter clairement que les producteurs n’ont pas à être rémunérés. Pour la CR ce fonctionnement est absurde. Ce ne sont pas aux clients et encore moins aux derniers vendeurs de fixer les niveaux de rémunération des producteurs. C’est la grande erreur de la loi EGalim qui veut répartir la valeur, et c’est bien pour cela que la CR demande que la notion de prix abusivement bas soit définie à partir des coûts de production. Il faut noter que toutes les enseignes n’ont pas souhaité communiquer sur les accords de prix, c’est par exemple le cas de Leclerc. Quant à celles qui communiquent sur le prix, celui-ci est également à prendre avec des pincettes, car il peut s’agir du prix de base, du prix réel ou même encore d’un prix incluant des primes qualité relatives à une alimentation sans OGM ou à une durée de présence en pâturage. Tout est fait pour qu’il y ait le moins de transparence possible, tout en permettant aux enseignes de la grande distribution et aux industriels de pouvoir travailler leur image auprès des consommateurs.

Les volumes concernés

Les différentes communications de la grande distribution mais aussi des industriels mettent en avant le prix. Mais très peu s’attardent sur les volumes couverts par les accords, et c’est là qu’apparaît la seconde supercherie dans ces négociations commerciales. Lorsque les prix de valorisation aux producteurs sont indiqués, ils ne concernent dans la grande majorité des cas que les produits de grande consommation, et parfois uniquement certaines marques.

Le mix produit varie d’un industriel à l’autre, mais globalement en France, il s’établit de la manière suivante : (source idele – données 2017)

31 % des fromages

21 % des ingrédients secs

19 % du beurre et butter oil

11 % du lait liquide

11 % des Yaourts et desserts

7 % de la crème

Ainsi, les produits de grande consommation (PGC) ne valorisent pas la totalité du lait produit en France. Il faut également prendre en compte les produits exportés. Au total, 42 % de la production laitière est exportée, et les achats des ménages ne représentent que 41 % de la production, le reste étant destiné à la restauration hors foyer et aux industries agro-alimentaires pour respectivement 6 et 11 % Ainsi, lorsqu’une entreprise prétend augmenter la valorisation du lait pour les PGC, cela représente en moyenne moins de la moitié du lait acheté auprès des producteurs. Par conséquent, quand un accord porte sur une valorisation supplémentaire de 40 €/1 000L, il faut comprendre en moyenne une augmentation d’environ 17 € sur l’ensemble du lait acheté par l’industriel. Et encore, certains accords ne portent que sur les produits de marque nationale et excluent par suite les marques de distributeurs (MDD), ce qui réduit encore la part du lait qui est concernée par l’accord. Par exemple, les MDD représentent 56,5 % de l’emmental et 48,5 % des yaourts natures… Au fur et à mesure, la revalorisation pour le producteur s’amenuise et le prix s’éloigne de plus en plus des coûts de production. Dans ce contexte où industriels et distributions méprisent clairement les éleveurs, il n’y a d’avenir que par la mise en place d’une régulation des volumes au niveau européen gérée par les producteurs.

Création d’une Commission d’enquête

La limpidité « affichée » des négociations commerciales entre distributeurs et industriels est remise en cause par les députés qui ont, le 26 mars dernier, validé la création d’une Commission d’enquête visant les pratiques de la grande distribution avec ses fournisseurs. Ces derniers auraient abusé d’un rapport de force qui leur était favorable pour faire de la concurrence déloyale. Le résultat de ces négociations étant, comme exposé ci-avant, très nuancé du point de vue des producteurs et sans aucune assurance d’une quelconque répercussion sur le prix payé sortie ferme, le résultat de l’enquête permettra d’infirmer ou de confirmer les craintes de la Coordination Rurale.

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