La crise sanitaire liée au COVID-19 a profondément bouleversé le marché des produits laitiers. La restauration a, dans l’objectif de limiter la propagation du virus, dû fermer ses portes pendant que les ménages français ont dû rester confinés. Les exportations, sans s’interrompre en totalité, ont subi d’importantes perturbations : les ports chinois ont, par exemple, fortement ralenti leurs activités en raison d'un manque de personnel qualifié. Cette fermeture de marché n’a cependant perturbé que les marchés du beurre et du fromage, l’export de poudre de lait s’étant maintenu. Ainsi, le bilan des exports français pour le mois d’avril est un recul de seulement 4 %. Face à ce marché quelque peu troublé survenant pendant le pic annuel de collecte, un afflux laitier restait néanmoins à craindre, accompagné d’une chute des cours.

Face à cette situation, et afin d’éviter la création des stocks qui pèseraient sur les cours pendant de longs mois, comme ce fut le cas au lendemain de la fin des quotas laitiers, la seule solution qui a prouvé son efficacité est la régulation de l’offre pour équilibrer le marché, comme la Coordination Rurale le défend depuis de nombreuses années. C’est la voie qu’a choisi d’adopter l’interprofession laitière française, en débloquant une enveloppe de 10 millions d’euros sur ses fonds propres, donc financée en majeure partie par les éleveurs. Dans un communiqué paru le 16 juin, l’interprofession laitière indique que l’enveloppe initialement débloquée s’est avérée insuffisante. Le budget total alloué à cette démarche a donc finalement été de 15,28 millions d’euros, pour une réduction d’environ 48 millions de litres de lait. L’engouement des nombreux éleveurs laitiers s’étant inscrits dans cette démarche de réduction des volumes témoigne de la bonne acceptabilité d’une telle mesure. L’effet de la sécheresse printanière, qui a pu ralentir la pousse de l’herbe dans les grands bassins laitiers, est cependant à prendre en compte dans la réduction de production laitière constatée. Il est difficile d’appréhender le réel impact de cette réduction sur les prix à la production, mais notons qu’ils n’ont pas dévissé comme cela était envisagé. Cela prouve ainsi aux autorités que la régulation est un outil efficace pour gérer les déséquilibres du marché, et qu'elle devrait faire partie des outils de la Commission européenne par l’adoption du Programme de responsabilisation face au marché (PRM). Cependant, sans harmonisation dans les différents bassins laitiers français et européens, cette mesure est peine perdue. En effet, une diminution seulement en France ne peut avoir qu’un impact limité, car les disponibilités dans les pays voisins offraient des opportunités d’importation aux industriels français.

    • Une augmentation des volumes dans certaines régions

Le Cniel a financé une baisse de 48 millions de litres de lait sur le mois d’avril. En revanche, la baisse effective (bilan global de la collecte dans les différents bassins laitiers) n’a été que de 14,2 millions de litres (source FranceAgrimer), ce qui s'explique par le maintien voire l’augmentation de la production dans certaines régions. C’est le cas par exemple dans les bassins de production Auvergne-Limousin (+3,2 %) ou Grand-Est (+2,5%). Même constat à l’échelle européenne, avec une augmentation de la production chez les principaux pays producteurs comme aux Pays-Bas (+1,6 %/2019) ou en Allemagne (1,5 % en 2019 sur la période janvier-avril).

    • Des éleveurs qui payent plusieurs fois la note

La CR déplore que l’enveloppe ait été prélevée sur les fonds propres du Cniel, fonds constitués en grande partie par les cotisations des éleveurs. Les éleveurs se retrouvent donc à payer plusieurs fois la note de cette crise : par le financement du fonds, par la réduction de la production et par la baisse de prix annoncée par certains industriels. Cette enveloppe aurait dû, selon la CR, être abondée par l’État à un montant dix fois supérieur pour avoir une réelle efficacité.

Cette démarche aurait donc dû s’inscrire dans un cadre européen, avec un plan de régulation global à l’échelle des 27 pays membres. À la place de mettre en place une mesure forte pour protéger la filière laitière européenne, la Commission a préféré mettre en place des mesures de stockage privé de produits laitiers, sur lesquels certains industriels n’hésiteront pas à spéculer dans les prochains mois. Les éleveurs de la CR ont d’ailleurs manifesté le 7 mai, de manière simultanée avec leurs homologues européens, pour protester contre ces mesures de stockage destructrices.

La régulation de la production a déjà prouvé son efficacité

En plein cœur d’une crise laitière touchant l’ensemble des producteurs européens, l’Union européenne a adopté, pour la période d’octobre 2016 à mars 2017, un programme d’incitation à la réduction volontaire et temporaire de la collecte laitière. Ce programme fut une réussite à l’échelle européenne, avec une utilisation totale du budget alloué bien avant la fin de la période prévue. Ce programme était cependant arrivé trop tard, et des stocks de poudre de lait à hauteur de 350 000 tonnes avaient pu être constitués à la veille de la mise en place de la réduction. L’écoulement de ces stocks s’est poursuivi jusqu’en début 2019, pesant dans le même temps sur les cours du lait pour l’ensemble des producteurs européens. Dans la même optique, le programme de responsabilisation face au marché (PRM), permettant la mise en place d'une réduction en cas de crise, a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 2 novembre 2016, par le biais d’une proposition de résolution européenne faisant suite au rapport de MM. Yves Daniel et Hervé Gaymard.

Instauration durable de la réduction volontaire ?

Le Parlement européen a, dans son règlement Omnibus, fait la proposition d’intégrer un nouvel article 220 bis intitulé « Système volontaire de réduction de la production » au sein du règlement (UE) n°1308/2013 sur l’organisation commune des marchés des produits agricoles. Cet article stipule que « dans l’hypothèse de graves déséquilibres du marché , la Commission peut décider d’accorder une aide aux producteurs qui réduisent volontairement leurs livraisons par comparaison avec la même période de l’année précédente ». Il est dommageable que la Commission ne s’en soit pas saisi pendant cette crise !

L’amélioration de la situation des éleveurs laitiers européens ne pourra s’opérer qu’avec une volonté franche, audacieuse et humaniste de nos politiques français et européens qui doivent acter urgemment des décisions de bon sens pour sortir notre secteur laitier de l’ornière.

C’est possible et la survie de la filière laitière en dépend.

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