Monsieur le Ministre,
La propagation à l’échelle mondiale du Covid-19 place l’élevage français dans une situation inédite. Les mesures qui ont été prises par le Gouvernement pour lutter contre cette pandémie bousculent les canaux traditionnels de distribution des denrées. Seules les grandes et moyennes surfaces et les marchés de plein vent, autorisés sous dérogation des préfets, ont la possibilité de continuer d’approvisionner les ménages français. Dans ce contexte exceptionnel, de nombreux éleveurs nous expriment leur désarroi et souhaitent que vous leur apportiez votre soutien en cette période difficile.
Les éleveurs ovins et caprins se préparent depuis de longs mois à la période de fêtes religieuses qui s’ouvrira dans quelques jours. Cependant, nombre d’entre eux se retrouvent aujourd’hui avec de nombreux animaux qui restent dans les bergeries, les abattages étant ralentis et les frigos étant pleins faute de débouchés. Les agneaux, s’ils ne sont pas abattus rapidement, vont s’engraisser et ne plus correspondre au marché, ce qui représenterait une perte économique importante pour les éleveurs. La situation demeure similaire pour la filière caprine pour laquelle la période pascale représente un tiers des ventes de l’année. Dans ces circonstances exceptionnelles, nous souhaitons pouvoir compter sur votre appui afin que 100 % de la viande d’agneau et de chevreau référencée dans les rayons des supermarchés soit d’origine française.
Les éleveurs laitiers craignent pour leur part de devoir jeter leur lait dans le cas où leur collecteur ne pourrait pas assurer la continuité du ramassage de lait. En effet, dans quelques secteurs géographiques, ne parvenant pas à vendre leurs productions ou tout simplement par manque de chauffeurs, des laiteries provoquent des arrêts de collecte. Tant qu’il ne s’agit pas de problèmes de logistique amont (absence de chauffeur), il est impératif que le lait soit collecté. Dans certains cas, les collecteurs savent s’entendre à travers des accords de tournées pour réduire leurs coûts d’approvisionnement. Dans le cas actuel de force majeure, les industriels laitiers doivent pouvoir faire preuve de solidarité et collecter les producteurs d’autres entreprises. Nous souhaitons qu’un accompagnement financier soit mis en place afin d’aider les éleveurs victimes de fin de collecte.
Les éleveurs produisant du lait destiné à la fabrication de fromage sont ceux qui aujourd’hui craignent le plus de devoir jeter leur lait. Avec la fermeture des restaurants et de la restauration collective, principaux débouchés pour les fromages, de nombreuses laiteries voient aujourd’hui leurs stocks arriver à saturation. Tel est le cas de la coopérative Erythrônes, élaborant du comté bio dans le Jura, qui ne collecte plus le lait qu’un jour sur deux. Pour répondre à l’urgence, nous souhaitons pouvoir compter sur votre appui afin que les supermarchés favorisent les fromages AOP, que ce soit dans leurs rayons ou dans les Drive, moyens de distributions très plébiscités par les consommateurs en cette période.
Les éleveurs sont également des consommateurs et ils constatent que les rayons frais des GMS sont bien souvent vides. Ce constat est amer alors que les industries laitières demandent de réduire la production. Les problèmes d’acheminement des denrées alimentaires devraient être une priorité et si les circuits habituels ne fonctionnent pas, nous demandons que l’État prenne les mesures nécessaires pour assurer la continuité des transports.
Concernant l’élevage allaitant, les changements de comportements des consommateurs se répercutent sur la variabilité des commandes et sur les niveaux d’abattages, en net recul la semaine passée. De plus, de nombreux marchés aux bestiaux se retrouvent fermés pour raisons sanitaires. De nombreuses bêtes ne peuvent conséquemment pas être vendues à leur valeur optimale. S’ils ne sont pas vendus à temps, certains animaux, tels que les veaux sous la mère ou les taurillons, vont changer de catégorie et donc de valeur factuelle. Nous vous demandons d’ouvrir un fonds d'indemnisation des pertes de revenus d'exploitation pour les éleveurs impactés. Des retards de vente pour les gros bovins ne sont certes que peu préjudiciables à la valeur des animaux, même s’ils engendrent des coûts alimentaires supérieurs. Cependant, les trésoreries d’une majorité des éleveurs allaitants ont été mises à mal par deux années de sécheresse consécutives et elles ne leur permettront pas de supporter des décalages de vente importants. Le Fonds de solidarité tel qu’il est conçu actuellement n’est pas adapté à la saisonnalité des ventes des éleveurs. Face aux charges qui se maintiennent voire augmentent et aux ventes qui tardent à se conclure, nous vous demandons d’élargir ce dispositif afin que les éleveurs allaitants puissent y accéder.
Les professionnels du cheval sont également fortement impactés par le confinement et en premier lieu les centres équestres qui sont totalement privés de revenus. Ils ont généralement de faibles stocks alimentaires et nos premières observations du marché des fourrages laissent penser qu’un phénomène de spéculation engendre une hausse des prix du foin et de la paille. Les problèmes de trésoreries se font rapidement sentir pour ces structures. Nous sollicitons votre bienveillante attention vis-à-vis de ces structures afin qu’elles aient facilement accès aux prêts bancaires garantis par Bpifrance.
En aviculture, les éleveurs nous indiquent qu’à la demande des transformateurs et pour limiter la production, les vides sanitaires sont allongés. Cet allongement engendrera une baisse de recettes importante alors que les charges de structures restent inchangées et que les producteurs ont dû réaliser des investissements de biosécurité importants. Cette baisse de production ne pourra pas être rattrapée. Les dispositifs d’aides actuels ne sont pas adaptés à ce type de perte et il sera donc impératif qu’ils soient compensés dès la fin de la crise.
Les craintes des éleveurs de porcs sont multiples : hausse du prix des aliments, problème de disponibilité des protéines garanties sans OGM origine France, augmentation du prix du transport sur l’ensemble de la filière, retards d’enlèvement, problème d’approvisionnement pour divers matériaux (emballages, cartons, CO2, etc.)… Ces inquiétudes ne se limitent pas à leur élevage mais à l’ensemble de la filière. Il suffit qu’un maillon de la filière soit touché pour que l’ensemble de la filière soit impacté. Ainsi, les producteurs de porcs de la Coordination Rurale demandent que vous restiez vigilant et en capacité d’apporter des réponses rapides aux difficultés qui pourraient survenir dans les prochains jours.
Par ailleurs, au cas où des éleveurs seraient atteints par le COVID-19, quelles solutions envisagez-vous pour garantir la continuité des soins aux animaux ?
Plus globalement, il nous semble que la priorité du Gouvernement est de maintenir l’approvisionnement alimentaire des citoyens sans se préoccuper de ceux et celles qui produisent. En tant que responsables syndicaux, nous sommes également surpris de l’absence de réunions de crise en visioconférence qui permettraient de meilleurs échanges entre les différents acteurs et une plus grande transparence de votre action.
Afin de répondre à l’urgence financière dans certaines exploitations agricoles, nous demandons à l’État de reconnaître la situation actuelle en « état de catastrophe sanitaire », à l’instar de la demande de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Cette reconnaissance, s’inspirant du système en vigueur pour les catastrophes naturelles, permettrait de subvenir aux besoins des agriculteurs souffrant le plus de la situation économique actuelle.
Vous avez demandé aux éleveurs et agriculteurs français de répondre présents pour nourrir la population en cette période difficile. Ils ont, comme à l’habitude, entendu le message. Sachez, Monsieur le Ministre, qu’ils seront également présents au lendemain de cette crise pour fournir des produits de qualité à nos concitoyens. Vous avez récemment plaidé pour une « exception alimentaire et agricole » afin de sortir ce secteur des accords commerciaux. Même dans l’urgence, il faut penser à demain et aux changements qui seront nécessaires. Une évolution radicale de notre modèle alimentaire doit être envisagée. Nous le demandons depuis la création de notre syndicat et sommes donc bien conscients que cela ne peut pas se faire en un jour. Pour autant, il faut envoyer des messages forts aux producteurs, les États généraux de l’alimentation n’ayant pas permis d’avancées notables sur le retour de prix aux éleveurs. Nous vous demandons par conséquent de prendre des mesures en faveur d’un approvisionnement français de la restauration hors domicile. Il n’est pas acceptable que 52 % de la viande consommée en restauration soit importée, créant ainsi une distorsion de concurrence avec les éleveurs français qui ont des coûts de production plus élevés que ceux de la moyenne européenne, notamment du fait des normes qui leur sont imposées. Nous souhaitons que soit rapidement fixé et atteint un seuil de 80 % de la viande d’origine française pour la restauration hors domicile.
Nous vous remercions par avance pour l’attention que vous porterez à nos propositions et demandes et vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute considération.
Bernard Lannes, président Sophie Lenaerts, responsable de la section Lait Alexandre Armel, responsable de la section Viande Pascal Aubry, responsable de la section Porc