Michel Le Pape, vice-président de la section dégâts de gibier de la CR et président de la CR37, porte un regard très critique sur une réforme entreprise au désavantage des agriculteurs.

Pouvez-vous nous rappeler en quoi a consisté cette réforme de l'indemnisation des dégâts de gibier, intervenue fin 2013 ?

Michel Le Pape : tout est parti d’un protocole d’accord tripartite entre l’APCA, la FNSEA et la fédération nationale des chasseurs (FNC), signé en janvier 2012. Leur but commun était de diminuer le pourcentage d’abattement opéré sur le montant de l’indemnisation (de le passer de 5% à 2%), au profit des agriculteurs victimes de dégâts, et de supprimer les petits dossiers, en relevant les seuils d’indemnisation (de 76 € à 250 € - finalement, le décret retiendra 230 €) au profit des chasseurs.

Dans le cas où les dégâts n’atteignent pas le seuil de 230 € (100 € sur prairie), les frais d’estimation sont mis à la charge de l’agriculteur déclarant, si celui-ci a demandé l’expertise définitive. Autant dire que pour des petits dégâts, l’effet est vraiment dissuasif !

Le nombre de dossiers a-t-il effectivement diminué ?

Michel Le Pape : oui très fortement ! Le nombre de déclarations de dégâts a baissé de 40% entre 2012 et 2016, soit 20 000 dossiers en moins ! Non seulement il s’agit d’une multitude de petits dégâts non indemnisés, qui additionnés, constituent des dégâts significatifs. Mais ces déclarations en moins tendent aussi à masquer le problème de la pullulation galopante de gibier, et en particulier de sanglier.

Mais il y a un autre effet pervers, relatif à la facturation au déclarant des frais d’expertise : 20% des dossiers ouverts se retrouvent sans expertise définitive et donc sans indemnisation, chiffre qui a doublé depuis 2012.

Ces chiffres nous sont donnés par la FNC elle-même (voir diaporama FNC), qui assume complètement les conséquences de cette réforme, les sommes en jeu étant très importantes pour les FDC.

Quel est donc le gain net de la réforme pour la fédération des chasseurs ?

Michel Le Pape : entre 2012 et 2016, le total des indemnisations a chuté de 39 à 23 M€, soit 16 millions d’euros d’économies par an pour les fédérations départementales (FDC) !

A cela s’ajoutent 680 000 € d’économies par an sur les frais d’estimation s’élevant désormais à environ 3 millions d’euros, car il y a moins de dossiers au total et plus de dossiers sans suite.

Sans compter tous les autres moyens mis en œuvre pour réduire localement le montant de l’indemnisation proposée à l’agriculteur (expertise tronquée, déclarant pris en défaut sur des aspects procéduraux…).

Y-a-t-il un gain pour les agriculteurs, notamment suite à la baisse du taux d’abattement de 5 à 2% ?

Miche Le Pape : les 3% d’abattement en moins, soit 600 000 € de charges supplémentaires pour les FDC, sont un maigre lot de consolation pour des agriculteurs victimes de dégâts qui se voient privés de 15,4 millions d’euros chaque année !

Sur un dossier à 10 000 €, les 3% d’abattement en moins ne pèsent que 300 €. Mais sur les exploitations, à combien les petits dégâts cumulés et non déclarés s’élèvent-ils ?

Si l’on peut souligner le talent de négociation de la FNC, l’absence de discernement de nos collègues APCA et FNSEA a de quoi laisser pantois ! A un an des élections des chambres d’agriculture, il va bien falloir qu’ils s’en expliquent…

Le protocole d’accord de 2012 prévoyait-il d’autres mesures ?

Michel Le Pape : oui, il était question de développer la télédéclaration, mesure très attendue par la CR. Hélas, 5 ans plus tard, nous n’avons toujours rien vu venir. La FNC nous a cependant indiqué que cela est à l’étude.

Il était aussi question de définir des « points noirs », dans les zones de départements les plus impactées par les dégâts. Mais cette définition n’a pas été reprise dans le décret du 23 décembre 2013. Elle reste circonscrite au cadre contractuel de l’accord tripartite. Et sur le terrain, on voit des FDC rechigner à définir des points pour ne pas avoir à supporter les obligations que cela induit, notamment « la pose, la surveillance et l’entretien des clôtures, assurés par les chasseurs » ou encore la suspension ou l’interdiction de l’agrainage en période de chasse.

Pourtant, les FDC proposent souvent des clôtures aux agriculteurs ?

Michel Le Pape : oui, mais presque toujours, la pose, la surveillance et l’entretien sont laissés à la charge de l’agriculteur. Et si celui-ci refuse les clôtures, son indemnisation, en cas de dégâts, sera fortement réduite par abattement-sanction.

Quel est le niveau de cet abattement pour refus de clôture ?

Michel Le Pape : la grille nationale de réduction des indemnités (abattements) prévoit qu’en cas de refus de l’agriculteur suite à une proposition écrite de la FDC, l’indemnisation est réduite de 30 à 50 % en 1ère année et jusqu’à 78 % en 3e année (cas n°5 de la grille). Selon la CR, la grille nationale d’abattement devrait aussi prévoir des sanctions pour les FDC, dans les cas où elles ne s’acquitteraient pas de leurs obligations. Mais pour l’instant, la FNC fait la sourde oreille.

Le protocole d’accord prévoit-il une régulation efficace du gibier ?

Michel Le Pape : il contient des mesures de gestion pour le sanglier. Beaucoup de chasseurs sont de bonne volonté mais les FDC distribuent trop peu de bracelets et encore moins pour les cervidés, afin d’en augmenter les populations.

L’éviction des faibles dégâts, mais nombreux et répétés, couplée au laxisme dont les FDC font preuve, énerve de plus en plus d’agriculteurs.

La CR souhaite-t-elle une nouvelle réforme de l’indemnisation des dégâts de grand gibier ?

Michel Le Pape : oui, nous voulons un système beaucoup plus équitable pour les agriculteurs, d’autant que les FDC n’assument pas correctement leur rôle de régulateur des populations. Le président de la FNC, Willy Schraen, veut demander la participation de l’État au financement de l’indemnisation. Si l’État accepte, il devra conditionner sa participation à une stricte obligation de résultat pour les chasseurs, sous le contrôle des préfets.

Et bien sûr, les seuils de 230 et 100 € doivent être rabaissés, et l’abattement automatique de 2% doit être supprimé car le caractère res nullius (chose sans maître) du gibier n’est pas une justification suffisante à mes yeux.

Enfin, nous voulons que l’indemnisation soit basée sur les prix de vente réels de l’agriculteur et que les dégâts, autres que ceux faits aux cultures, soient pris en compte (dégâts matériels, pailles, agroforesterie, animaux d’élevage blessés,…).

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