Aurélie Hallain, 39 ans, agricultrice en Eure-et-Loir sur la commune de Berchères-les-Pierres depuis le 8 mars 2016 (journée de la femme pour l’anecdote).

Pourquoi êtes-vous devenue agricultrice ?

Mon parcours a été bien rempli. J'ai un BAC S, un BTS Industries céréalières de l'ENSMIC, un diplôme d’ingénieure en agroalimentaire et santé de l'ISAB. Avant de reprendre l'exploitation familiale, j'ai travaillé dans différents secteurs : intérimaire préparatrice commande cosmétique, boulangerie industrielle, vendeuse au Carrefour de Chartres au rayon charcuterie-fromage, coach nutrition, responsable archivage numérique, formatrice en agroalimentaire, agriculture et responsable pédagogique pour la mise en place de formations en agroalimentaire et restauration collective. Je suis issue d'une famille d’agriculteurs : parents, grands-parents maternels et paternels. J'ai repris la ferme qui est dans ma famille depuis bientôt un siècle et qui existe depuis le 12e siècle. Elle fut tenue par les moines lors de la construction de la cathédrale de Chartres, c’était une ferme des Templiers !

Pourquoi avoir voulu reprendre la ferme et quels sont vos projets ?

La dimension sentimentale a joué un rôle important dans ma décision de reprendre la ferme familiale ; j’y suis profondément attachée. J’ai poursuivi une partie des cultures déjà en place : blé, orge hiver, orge printemps, colza, betterave, pomme de terre, et je me suis différenciée en faisant des contrats avec Syngenta, la Chambre d'Agriculture, des contrats de semences, de blé améliorant. J’ai voulu développer de nouvelles cultures, mais les débouchés sont inexistants. J’ai produit des lentilles pendant un an et, quand j’ai voulu continuer, je n’ai pas pu, l’explication à l’époque était qu’il n’y avait plus de contrats possibles car le Canada et l’Inde en exportent sur notre territoire. J’ai d’autres objectifs à long terme comme celui de développer une nouvelle activité, mais le projet est encore flou à l'heure actuelle : pourquoi pas la production de miel ; j'ai déjà un partenariat avec un apiculteur.

Quels ont été les freins à votre projet d'installation ?

Mes parents connaissaient mon projet de reprendre l'exploitation mais tout s'est accéléré le jour du rendez-vous chez le comptable au mois de septembre 2015 ; ils venaient d'apprendre qu'ils pouvaient prendre leur retraite et qu'ils n'auraient pas plus en termes de retraite s'ils continuaient à travailler. Mon père a expliqué au comptable qu'il arrêterait à la fin de l'année, comme leur bilan se clôturait fin février, ils ont pris cette date en référence pour la dissolution de l'EARL GUDIN. Le parcours du combattant allait alors commencer pour moi : une installation en 5 mois, alors qu'il faut un minimum d'un an entre les premiers rendez-vous et l’installation. J'ai pris contact avec la DDT pour savoir si j'étais éligible à l'installation car je n'ai pas de diplôme agricole, j'ai juste fait mes études dans des établissements agricoles. Cela ne me permettait pas d'être éligible, j'aurais dû faire un BPREA soit en formation à distance soit dans un CFPPA pendant 1 an. J'ai pris rendez-vous avec le pôle installation tenu par le syndicat Jeunes Agriculteurs à la Chambre d'agriculture. J’y ai appris que je pouvais prétendre à l'aide à l'installation si je réalisais un audit pour identifier les domaines dans lesquels je devais me former. J'ai donc réalisé, courant décembre 2015, une formation d'une semaine à la Chambre d'agriculture avec d'autres candidats et durant laquelle nous avons rencontré des professionnels : banque, assurance, réglementation, bilan économique, MSA… Toutes les bases pour devenir une cheffe d’entreprise et diriger une exploitation agricole. Ensuite, j’ai réalisé une formation économique personnalisée avec les chiffres de l’exploitation pour comprendre la faisabilité de la reprise. Je me suis formée seule pour obtenir mon Certiphyto (certificat individuel pour acheter et utiliser les produits phytosanitaires). N’ayant pas assez d’expérience dans le milieu agricole, j’ai réalisé un stage dans une exploitation courant février. J’ai mis en place mon Plan de Développement Économique sur 5 ans pour mon exploitation avec les chiffres, rendements, prix de vente, investissements… Difficile de savoir ce qu’on fera dans 5 ans. Dans la foulée, il y a eu les rencontres avec les banquiers pour mettre en place les emprunts, mais là encore un hic : j’ai appris l’impossibilité de reprendre en l’état l’EARL GUDIN. Ne pouvant pas amortir le matériel, les banques ne suivaient mon projet que si je m’installais en créant une nouvelle entreprise. Fini l’EARL GUDIN et bonjour AURELIE HALLAIN, FERME DES TEMPLIERS. Je vais ajouter que mon mari m’a toujours soutenue, il m’a aidée dans mes démarches, bien qu’il travaille à l’extérieur dans un autre domaine.

Qu'est-ce qui doit changer aujourd'hui ?

En tant que femme, ce ne sont pas forcément les démarches administratives qui peuvent être problématiques, je dirais même qu’une femme peut être plus méticuleuse, plus administrative. Les difficultés sont plutôt arrivées après l’installation. Se faire respecter, être écoutée en tant que femme agricultrice, en tant que professionnelle, et pas seulement en tant que gestionnaire des comptes et de la paperasse... Car j’ai eu beaucoup de remarques, « ah vous êtes agricultrice, mais vous vous occupez des papiers ... ». Après plusieurs années, j’ai appris sur le tas, dans les champs, j’ai vécu mes propres expériences comme une récolte catastrophique en 2016, et aussi 2020. Aujourd’hui, je n’ai plus honte de prendre la parole dans une réunion, exposer mes idées, car il est très courant que je sois la seule femme lors de ces rencontres. J’ai encore le soutien de mon papa pour les itinéraires culturaux et les travaux dans les champs, c’est son plaisir à lui. Pour moi, il faut payer les factures, les emprunts et essayer de se verser un salaire. Je dis essayer car je ne me suis pas rémunérée les 4 premières années.  

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