Jeudi 21 novembre, la Coordination Rurale Auvergne Rhône-Alpes organisait une conférence-débat sur les femmes en agriculture. Après un mot d'introduction prononcé par Gilles Chatelain, président de la CR des Savoie, la conférence s'est déroulée dans une atmosphère studieuse et bienveillante. Retour sur les différentes présentations effectuées à la salle des fêtes de Marigny-Saint-Marcel (74150).

Coparentalité et autorité parentale partagée - CIDFF

La première intervenante était Dominique Mattano, juriste au Centre d'information pour le droit des femmes et des familles (CDIFF). Ce centre est un relais essentiel de l’action des pouvoirs publics en matière d’accès aux droits pour les femmes, de lutte contre les discriminations sexistes et de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle a profité de sa présentation pour s'intéresser à deux notions qui lui paraissent particulièrement adaptées à l'agriculture : la coparentalité et l'autorité parentale partagée.

Madame Mattano a tout d'abord rappelé qu'avant 2002, la notion de co-parentalité n'existait pas dans le droit. Ce n'est qu'à partir de cette date qu'est rendu effectif le partage de parentalité par les parents naturels vis-à-vis d'un enfant ou de plusieurs, et ce quel que soit la situation des parents (mariés, séparés ou divorcés). Il faut de même rappeler que la notion d'autorité parentale partagée n'est apparu qu'en 1970. Avant, il fallait parler d'autorité paternelle.

Madame Mattano posait alors la question de l'égalité dans la prise en charge des enfants entre mères et pères. D'après une étude de 2013, les femmes passent en moyenne 1h30 par jour à s'occuper de leur(s) enfant(s). Pour les hommes, il est de 44 minutes. D'après Catherine Laillé, responsable nationale de la section Agricultrices à la CR, la situation tend progressivement à s'équilibrer mais pour sa génération, la femme faisait 90 % des tâches auprès de ses enfants.

Madame Mattano explique qu'il s'agit là de la charge mentale qui pèse les femmes depuis des générations entières. La gestion du foyer au quotidien et les contraintes liées aux enfants représentent une charge cognitive supplémentaire. La femme se sent obligée de les accomplir. Une participante présente dans la salle ajoute que cette réalité est encore plus forte dans un monde agricole où les femmes ne peuvent pas effectuer certains travaux physiques nécessaires au fonctionnement quotidien de l'exploitation. Pour compenser, elles s'impliquent davantage dans les tâches liées aux enfants (habiller, faire manger, amener à l'école, aux activités, chez le médecin...).

Retour historique, congé maternité et veuvage - MSA des Alpes du Nord

Après cette intervention claire et captivante, une salariée de la MSA des Alpes du Nord a ensuite pris la parole. Elle proposait un exposé historique sur les femmes en agriculture :

  • 1980 : création du statut de co-exploitante ouvrant alors le droit aux femmes d'accomplir des tâches en étant reconnues.
  • 1985 : avec l'apparition de l'EARL, elles ont pu s'associer à leurs conjoints et être à égalité.
  • 1999 : statut de conjoint-collaborateur.
  • 2010 : possibilité de créer des GAEC entre conjoints.
  • 2019 : allongement de la durée minimale du congé maternité des agricultrices non salariées de 2 à 8 semaines. Celles qui ne peuvent se faire remplacer pourront par ailleurs prétendre à des indemnités journalières.
  • 2019 : loi Plan d'action pour la croissance et le transformation des entreprises (Pacte) - garantie d'un statut social pour le conjoint de chef d'exploitation ou d'entreprise agricole exerçant une activité professionnelle régulière au sein de l'exploitation ou de l'entreprise agricole. Celui-ci induit une obligation, pour le chef d'exploitation ou d'entreprise agricole, de procéder à la déclaration de l'activité professionnelle régulière de son conjoint au sein de l'exploitation agricole et le statut choisi par ce dernier.
 

L'intervenante de la MSA s'est ensuite arrêtée sur l'allocation de remplacement maternité des agricultrices. Elle a pour but de prendre en charge les frais occasionnés par leur remplacement dans les travaux agricoles lorsqu'elles ne peuvent les accomplir en raison de la maternité. D'autre part, depuis le 1er janvier 2019, dès lors que le remplacement n'est pas effectué par l'intermédiaire du service de remplacement conventionné ou par une embauche directe, les femmes chefs d'exploitation peuvent bénéficier d'une indemnité journalière forfaitaire en cas de maternité. Son montant journalier est fixé à 55,51 euros.

L'intervenante a également évoqué l'allocation veuvage. Elle garantit aux conjoints survivants des assurés décédés le bénéfice d'une allocation pendant deux ans. Si à la date du décès, le conjoint survivant a atteint l'âge de 50 ans, le versement de l'allocation veuvage sera prolongé jusqu'à ses 55 ans, date à laquelle la pension de réversion pourra être attribuée. Cependant, ce dispositif n'est applicable qu'à certaines conditions :

  • L'adhérent décédé doit avoir exercé une activité ouvrant droit à une retraite (CA ou NSA) ou être bénéficiaire d'une retraite de salarié ou non salarié.
  • Le conjoint doit avoir au moins 55 ans au moment de la demande pour le veuvage.
  • L'adhérent décédé et le conjoint doivent être mariés au moment du décès.
  • Des conditions de ressources doivent être remplies.

Enfin, une responsable du service social de la MSA est venue présenter l'aide au répit, dispositif mis en place pour lutter contre les risques psychosociaux et l'épuisement professionnel en milieu agricole.

Statut des femmes en agriculture - Catherine LAILLÉ

En introduction de sa présentation, Catherine Laillé racontait que dans le dictionnaire Larousse, le mot "Agricultrice" n'existe que depuis 1961. Avant, il n'y avait pas de terme pour définir les femmes qui travaillaient en agriculture.

Les lois d’orientation agricole de 1999 et 2006 ont institué et modifié le statut de « conjoint(e) collaborateur(rice) ». Elles ont en ce sens marqué un réel progrès pour le droit des agricultrices. Pour autant, près de 6 000 d'entre elles n'ont toujours aucun statut.

D'autre part, le statut de conjointe collaboratrice permet certes une prise en charge des risques liés aux accidents du travail, aux maladies professionnelles (Atexa), aux congés maternité, un accès à la formation professionnelle continue et aux prestations vieillesse. Mais ce statut aux allures protectrices contribue néanmoins à fragiliser les agricultrices en créant une situation de dépendance. Le constat est particulièrement criant pour les femmes vivant des situations économiques difficiles ou des problèmes conjugaux.

Catherine Laillé a rappelé que le statut de cheffe d’exploitation ou de salariée sont les deux seuls statuts à garantir les pleins droits, notamment en matière de salaire, de retraite, de couverture santé et d’émancipation professionnelle. Elle a encouragé les agricultrices présentes à opter pour l'un de ces deux statuts dès que possible. « Lorsque j'ai réalisé des simulations pour mes droits à la retraite, j'avais 230 euros de moins en tant que conjointe collaboratrice qu'en tant que cheffe d'exploitation. »

Catherine Laillé précise que des fiches synthétiques et récapitulatives seront mises en ligne sur le site de la CR. Il est primordial d'informer les agricultrices, de les orienter dans leur parcours professionnel et de les aider à prendre les bonnes décisions. « Les femmes courageuses qui se lancent en agriculture doivent pouvoir compter sur un socle réglementaire fiable et puissant pour n'avoir à penser à rien d'autre qu'à leur profession. »

Concernant les retraites agricoles, les débats sont actuellement en cours. Catherine Laillé estime qu'il ne faut pas attendre 2025 pour obtenir une retraite décente à 1 000 euros minimum.

Entreprendre au féminin : prendre sa place au sein des exploitations agricoles - FDGAEC

L'intervenante a commencé par une présentation chiffrée. En 2018, 30 % de ceux qui souhaitent entreprendre en agriculture sont des femmes. Pour entreprendre correctement, il faut "prendre sa place". Parfois, il faut la conquérir, la bousculer, surtout lorsque "je ne suis pas la fille de, la femme de..."

En agriculture plus que dans n'importe quelle profession (notions de lignée, de valeurs...), il faut que les femmes s'affirment, osent prendre des risques. Il ne faut pas qu'elles se conforment à ce que l'on veut leur faire comprendre et croire.

L'intervenante expliquait que "prendre sa place", c'est également trouver les bonnes relations et le bon équilibre avec ses collègues de travail. Il faut apprendre à déléguer, oser s'exprimer et savoir ce que l'on a envie de faire. Pour autant, « choisir ce qui est important pour nous, ce n'est pas forcément rejeter la faute sur les autres ».

Comment concilier travail et vie de famille ? - Administratrice CR Savoie

En conclusion de cette conférence, une administratrice de la CR des Savoie a parlé de son expérience personnelle. Elle a raconté toutes les difficultés rencontrées pour que ses trois enfants aient une scolarité équivalente à celle des autres. « Je devais trouver du temps pour les aider à faire leurs devoirs, ce qui n'était pas toujours simple. Je me suis parfois retrouvée à corriger leurs exercices à la fin de ma journée de travail. Parfois après 23 heures. D'un autre côté, lorsqu'il y avait des réunions parents - professeurs ; je ne pouvais jamais être présente car l'heure ne coïncidait pas avec mes disponibilités et mes contraintes professionnelles. »

Dans le prolongement de sa réflexion, se pose la question de la manière dont la société actuelle intègre la vie quotidienne des agriculteurs. Pour elle, des formes de solidarité sont à inventer en milieu rural. Des formes d'entraides pourraient être créées à l'échelle du village.

Un repas partagé dans la bonne humeur a prolongé les trois heures d'interventions et d'échanges. La CR Auvergne Rhône-Alpes a pu remercier le Conseil régional pour le soutien financier apporté à l'organisation de cette journée. Elle a fait part de sa reconnaissance aux intervenantes pour la qualité des présentations proposées.

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