1/ De quoi parle-t-on ?

La notion de consommation de l’eau telle qu’elle est employée par le ministère de la Transition écologique et plusieurs associations est basée sur la vision hydrologique des phénomènes étudiés. En hydrologie, le terme de « consommation » renvoie à la notion de disparition voire d’altération. On envisage les usages du seul point de vue de la quantité d’eau elle-même. L’eau consommée est donc rendue indisponible pour le cycle de l’eau qualifié de naturel. « C’est donc le milieu naturel qui sert de système de référence : si l’eau sort du système et n’est plus disponible pour le cycle de l’eau, il y a consommation, c’est-à-dire perte nette pour le système »1.

La vision hydrologique fait donc la différence entre le prélèvement et la consommation. Le prélèvement correspond à une quantité d’eau qui va temporairement être extraite du cycle naturel local, pour y retourner en tout ou partie. La consommation est une quantité d’eau initialement prélevée qui ne retourne pas dans le cycle naturel local.

Bon nombre d’études sur le sujet donnent les chiffres des prélèvements. Notamment celles utilisées dans la première fiche2 que nous avons malencontreusement nommée « La consommation d’eau en France : approche générale ». Pour être totalement logique avec les notions utilisées par le MTE, nous aurions dû parler du prélèvement d’eau en France.

Pour illustrer tout cela, vous allez servir d’exemple. Nous avons bien dit « vous ». Le total de vos prélèvements correspond à la quantité d’eau que vous avez tirée de l’ensemble de votre robinetterie et, accessoirement, de votre chasse d’eau. À cela, on peut rajouter la quantité d’eau extraite par différents opérateurs afin de remplir les bouteilles d’eau minérale et autres boissons à bulles dont vous faites une consommation forcément excessive. Dans le même temps, vous restituez une partie de cette eau. Celle qui s’écoule vers le réseau d’eau usager. Votre « consommation » d’eau se limite donc à l’évaporation, l’eau bue et celle incorporée aux aliments. C’est donc minime. On pourrait pousser le pointillisme à son paroxysme en comparant la quantité d’eau bue et la quantité de liquides restituées par votre organisme. Votre « consommation » d’eau passe de minime à infime.

Pour revenir aux études citées, l’agriculture prélève peu d’eau. Si l’on reprend les chiffres répertoriés par le SDES3, pour 2017, elle se situait en 4e position d’un classement qui en compte 5, pour une quantité équivalente à 9 % du total. En chiffre brut, l’agriculture avait prélevé 2,88 milliards de m³ sur un total de 32 milliards pour l’ensemble de l’hexagone. Bien loin des prélèvements dus au refroidissement des centrales électriques qui s’élevaient à 16 milliards de m³.

Dans son article, le ministère de la Transition écologique4 reprend ces chiffres et les donne pour actuels. Pour leur défense, on dira que l’édition 2020 du SDES et de l’OFB est la seule disponible. Ce qu’il faut retenir, c’est l’utilisation de la définition hydrologique pour accabler l’agriculture. En effet, si notre secteur prélève peu, il « consomme » un pourcentage non négligeable de ces dits prélèvements. En effet, l’agriculture « consomme » 2,3 milliards de m³ pour 2,9 milliards prélevés. Cela représenterait 45 % des « consommations » de l’Hexagone. La « consommation » totale d’eau en France s’élève donc à 5,11 milliards de m³. La France fait disparaître au sens hydrologique du terme 15,9 % de ce qu’elle prélève.

2/ Validité de la vision hydrologique

Au premier abord, la notion de « consommation » soulève une question. Comment peut-on faire disparaître 5,11 milliards de m³ ? Le monde et, en l’occurrence la France, a donc « une fuite ».

Dans un article du CNRS5, il est précisé, qu’en 1995, les prélèvements totaux s’élevaient à 40 milliards de m³ et que la consommation nette s’élevait à 5,6 milliards de m³. Pour le CNRS, les eaux « consommées » sont celles qui n’ont pas été immédiatement restituées dans le milieu aquatique ou évaporées. Petite différence d’avec la définition brute, si l’eau n’est pas restituée, elle n’a pas disparue. Dans l’ouvrage de Martin Calianno6, une phrase permet de comprendre l’approche hydrologique appliquée à l’agriculture : « Une fois l’eau d’irrigation appliquée aux cultures, le cycle d’usage continue avec les diverses consommations constituées des pertes par évaporation ou par incorporation par la plante, ne retournant pas au système choisi comme référence ». La consommation comprise comme une disparition ne s’entend que vis-à-vis du milieu naturel de référence. Via les plantes l’eau se transforme. Enfin, nous évoquerons les précisions données par l’INRAE7 sur ce qu’il faut entendre par le terme « consommation » : « L’agriculture consomme de l’eau et la déplace. En France, l’agriculture, au travers de l’irrigation essentiellement, représente environ 9 % des prélèvements d’eau, mais 48 % de la consommation. C’est le secteur qui « consomme » le plus d’eau, dans le sens où l’eau prélevée par les plantes n’est pas restituée localement : elle est évapotranspirée et réintègre le cycle sous forme de vapeur, avant de retomber ailleurs sous forme de précipitations. Si l’on se place du point de vue local, l’eau est donc « perdue » ».

Consommation signifie, dans notre cas, restitution différée dans le temps et surtout dans l’espace.

De fait, se pose la question du chiffrage. S’il est facile de quantifier les quantités prélevées et une partie des quantités restituées au milieu naturel, nous n'avons pas trouvé de documents relatant les méthodes utilisées pour calculer la « consommation » d’eau en agriculture.

3/ Conséquence de la terminologie hydrologique

La notion hydrologique de « consommation » peut être considérée comme logique. Malheureusement, elle génère un biais excessivement dangereux pour les agriculteurs.

En effet, le terme « consommation » n’a absolument pas cette signification pour les quidams que nous sommes. Dans un usage normal de notre langue, il se rapproche de la notion d’utilisation. En ne donnant aucune précision sur ce que recouvre le terme consommation d’eau, le MTE, dans son article du 5 août, fait volontairement naître une confusion dans l’esprit des lecteurs. Confusion qui peut rapidement dégénérer puisqu’une chaîne du groupe France Télévision aurait repris tel quel le terme de consommation pour signifier « prélèvement », « utilisation ».

Cette absence d’honnêteté intellectuelle permet, notamment au MTE et aux associations écologistes, de pointer du doigt l’agriculture. Avec une restitution de l’eau prélevée inférieure en pourcentage aux autres catégories, elle se présente comme le coupable idéal. Dans cette mesure, pourquoi s’intéresser aux prélèvements, dès lors que le pourcentage de restitution est jugé satisfaisant. Pourquoi se pencher sur la question des fuites du réseau, qui représentent 1 milliard de m³ et peuvent être considérées comme de l’eau « consommée ». La présentation du coupable valant résultat, il suffit d’exiger de l’agriculture qu’elle se tourne vers des végétaux moins gourmands en eau. Comble du cynisme, puisque au regard des définitions hydrologiques, si ce changement fera inévitablement baisser les prélèvements agricoles cela n’aura peut-être qu’un effet limité sur la quantité « consommée » et nul sur le pourcentage d’eau « consommée ».

4/ Restitution de l'eau par les plantes : le rôle essentiel de l'évapotransipration

Si l’agriculture « consomme » de l’eau, cette dernière ne disparaît pas pour autant. L’évapotranspiration correspond à l’émission de vapeur d’eau dans l’atmosphère depuis le sol et la surface des végétaux. Elle s’exprime en millimètre d’eau évaporé, de la même manière que la pluviométrie. L’évapotranspiration joue un double rôle essentiel :

En premier lieu, celui de climatiseur naturel. La majeure partie de l’énergie solaire sur les surfaces sèches est convertie en chaleur, qui réchauffe le sol et l’air situé au-dessus. En été, les températures sur de telles surfaces peuvent excéder les 50°C ! Pourtant, si la surface est couverte par une végétation en état de jouer son rôle (et bien pourvue en eau), 70 à 80 % de cette énergie peut être dissipée par évapotranspiration de l’eau, ce qui signifie sa conversion en chaleur latente, responsable du rafraîchissement du voisinage.

Ensuite, elle crée les nuages et donc des pluies potentielles. La végétation améliore l’humidification de l’air. Bien qu’opposées, pluviométrie et évapotranspiration sont liées. L’eau de pluie tombe des nuages pour rejoindre la terre et s’infiltrer dans les sols, avant d’être à nouveau captée dans l’air.

En conséquence, plus il va faire sec, plus la végétation va se dessécher et moins il va pleuvoir. Pour bien évapotranspirer (et donc restituer de l'eau à l'atmosphère), une plante doit être en bonne santé, donc correctement irriguée. De fait, en cas de sécheresse les flux d’évapotranspiration sont fortement réduits, de l’ordre de 50 à 80 % selon les zones étudiées ce qui induit une baisse du rafraîchissement en deçà de 2°C.

La densité et la qualité du couvert végétal sont un facteur qui améliore l'évapotranspiration si les plantes laissent suffisamment d'eau dans le sol. L'agriculture et l'irrigation peuvent être une source de solutions.

  Sources : (1) Quantifier les usages de l’eau : une clarification terminologique et conceptuelle pour lever les confusions. Martin Calianno, Emmanuel Reynard, Marianne Milano et Arnaud Buchs. §18 (2) Eau et milieux aquatiques, Les chiffres clés, Édition 2020. Étude menée en collaboration par le Service des données et études statistiques (SDES) et l’Office français de la biodiversité. (3) Idem (4) Origine et gestion de la sécheresse. Ministère de la Transition écologique. Note internet. 05 Août 2022. (5) La consommation française domestique, industrielle et agricole. (6) Idem 1 §46 (7) INRAE : L’agriculture va-t-elle manquée d’eau ? Étude extraite de la revue de l’INRAE #2. Avril 2022.

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