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C’est le nombre d’agriculteurs qui auraient mis fin à leurs jours en 2015 selon les estimations publiées par la MSA (Mutualité Sociale Agricole). Malheureusement, la réalité est plus terrible encore puisque l’InVS (Institut national de veille sanitaire) affirme que les morts par suicide sont sous-estimées (de l’ordre de 9 %) ce qui porterait le nombre de suicides agricoles à 405 par an.
La Coordination Rurale lance des alertes depuis plus de 10 ans et a réfléchi à des propositions pour enrayer l’hécatombe. Il est urgent d’agir à différents niveaux, tant sur les facteurs qui prédisposent au suicide que sur ceux qui contribuent au suicide ou encore ceux qui précipitent vers le suicide.
Il convient d’évaluer efficacement le plan de prévention du suicide agricole afin de l’améliorer : mise en place de protocoles collectifs clairs et identités dans chaque département, amélioration du recensement, meilleure connaissance du phénomène, information et formation au sein de la profession et des partenaires, mesures de détection et d’accompagnement... Il convient de mettre à plat toutes les mesures pouvant agir sur les causes ainsi que celles traitant de la prévention une fois qu’un ou plusieurs facteurs de risque sont atteints.
Conjointement à ces actions il est indispensable de s’attaquer à la racine du mal : les prix agricoles ! En effet, les aides sont une atteinte à la dignité des agriculteurs, c’est pourquoi le syndicat s’est positionné contre le système actuel des aides et appelle les politiques à mettre en place des prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Des décisions politiques fortes pour que notre travail soit payé et non subventionné doivent être prises.
Le lancement en mars 2011 du plan de prévention du suicide dans le monde agricole, à l’initiative du ministère de l’Agriculture et confié à la MSA, ainsi que l’étude publiée en 2013 par l’InVS et la MSA, constituent une première avancée obtenue par la Coordination Rurale. L’étude a malheureusement confirmé ce que le syndicat dénonçait depuis bien longtemps : les agriculteurs exploitants sont la profession la plus touchée par les décès par suicide !La CR a obtenu la mise en place d’un numéro vert et des réunions de prévention dans les départements. Mais cela ne suffit pas à enrayer cette spirale infernale.En 2016, le nombre d’appels à l’aide a plus que doublé sur le numéro vert Agri’Écoute de prévention du suicide mis en place en 2014 par la MSA : 2 664 appels contre 1 219 en 2015.Mais malgré ces chiffres les ministères de l’Agriculture et des Finances décident en 2018 de ne plus financer le dispositif d’aide au répit pour les agriculteurs. En une seule année la MSA avait accompagné près de 3 500 exploitants agricoles en situation de burn-out ou d’épuisement professionnel. La CR s’est insurgée contre cet abandon d’une politique nationale mise en place pour prévenir le suicide agricole. Heureusement certaines MSA ont pérennisé la mesure, mais elle n’est pas généralisée et dépend des budgets des caisses locales.Un changement de politique agricole est nécessaire et il se fait chaque jour plus urgent ! Bien que l’État ouvre progressivement les yeux sur les proportions d’un tel phénomène, il fait la sourde oreille pour ce qui est d’en prendre acte et mettre en place la solution : redonner aux agriculteurs la place qu’ils méritent dans la société, de l’espoir et des perspectives à travers des prix rémunérateurs.
Si le plan de la MSA est présenté comme relativement exemplaire, force est de reconnaître que les éléments dont nous disposons demeurent insuffisamment concrets et précis pour se forger une réelle opinion. En effet, à part des comptes rendus d’activités assez minimalistes qui se bornent à recenser des nombres d’appels et des grandes orientations, il ne semble pas y avoir de réel audit du dispositif mis en œuvre.
Si l’évaluation du plan national d’actions de 2011-2014 mentionne la « nécessité d’évaluer les dispositifs et de maintenir le contact avec les personnes suicidaires ou les suicidants selon un protocole spécifique » force est de constater que ce n’est pas suffisant. La MSA doit s’assurer du suivi de la personne en difficulté du 1er appel jusqu’à la sortie de crise.
De plus, la MSA refuse de s’occuper des dossiers pour lesquels elle n’est pas saisie directement par l’agriculteur en difficulté. De même, une loi récente permet aux établissements bancaires de saisir les services sociaux de la MSA, mais seulement si la personne en difficulté leur en donne l’autorisation. Aussi, il semble nécessaire que la MSA puisse se saisir d’elle-même pour contacter les personnes si des risques lui sont signalés. D’autant plus que si leurs services communiquaient davantage entre eux, ils pourraient eux-mêmes identifier des personnes à risque sans que d’autres les signalent.
Pourtant, il est indiqué dans le même plan la nécessité d’avoir des objectifs chiffrés en matière de réduction des suicides et tentatives : « nécessité d’intégrer des objectifs quantifiés du résultat à atteindre » (p.57 : l’objectif de réduction de taux de suicide était présent dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens dans ARS, mais ne figure plus dans la grille des objectifs pour 2015-2018).
Aussi, il nous semble indispensable d’évaluer et de mesurer les effets de ces plans présentés comme des exemples mais qui malheureusement semblent bien insuffisants.
Voici des exemples de questions à se poser pour évaluer l’efficacité d’un plan : - Combien d’appels ont débouché sur les prises de rendez-vous ? Combien sont restés sans suivi ? - Lors des rendez-vous, un test a-t-il était réalisé ? Si oui, par qui ? La personne était-elle formée ? - Existe-t-il un listing de personnes à contacter quand un salarié du para-agricole reçoit un appel d’une personne qui semble en détresse ? Si oui, quelle est la diffusion de ce listing ? Les salariés sont-ils formés ?- etc.
Sachant que comme l’indique l’évaluation du plan national d’actions de 2011-2014 (page 29) « l’efficacité des simples lignes d’écoute n’est pas démontrée » (idem s’agissant des interventions sociales basées sur des sentinelles) il est indispensable de proposer un rendez-vous à l’issue d’un appel, ce qui n’est malheureusement pas systématique. La CR souhaite également une meilleure visibilité du n° vert. Ce numéro pourrait être sur toutes les communications de la MSA.
Si des protocoles internes à des organismes ou des entreprises existent, il apparaît une carence d’organisation humaine collective. La CR demande une évaluation de la mise en place des plans avec grille de notation, des critères d’évaluation, ainsi qu’un protocole collectif clair à l’échelle des départements qui devra être communiqué par plaquette à l’ensemble des partenaires étant en contact avec des agriculteurs. Il conviendra également de faire des formations autour de ce protocole.Cette plaquette départementale devra contenir les mesures existantes (financières, matérielles...) pour l’accompagnement des personnes sensibles ainsi que la liste des personnes à contacter (y compris psychiatres et psychologues des centres hospitaliers et indépendants). Cette plaquette pourra être diffusée très largement dans la ruralité (via les boulangeries par exemple) et dans les organismes agricoles et para-agricoles (vétérinaires...).
La mission agrobiosciences de l’INRA identifie 4 configurations sociales suicidogènes afférentes à la profession des agriculteurs exploitants : le suicide lié à l’imbrication travail-famille, celle de la transmission et celles de disqualification et de perte de sens de l’engagement dans le travail. (En italique les passages de l’étude).
1/ Imbrication travail-famille
« La première configuration souligne le rôle joué par un trait relativement permanent du « genre de vie » de cette population, à savoir le « choc entre un rapport de travail et un rapport familial » (Barthez, 1982) qui définit l’exercice de la profession. L’organisation de l’activité agricole reste encore profondément familiale, que ce soit dans la vie quotidienne, par le recours aux membres de la maisonnée afin de faire face aux nécessités productives et au travail d’astreinte. »
Le manque de rentabilité amène les agriculteurs à sacrifier de la main-d’œuvre salariée en la remplaçant par leur propre travail ou celui des membres de la famille. En effet, les agriculteurs travaillent jusqu’à 80 heures par semaine et prennent peu ou pas de vacances. Il y a là un gisement d’emplois considérable avec tout ce que cela suppose pour l’économie ou le tissu rural (investissements, services publics, ...).
2/ L’héritage refusé
« L’enquête a permis d’identifier le suicide d’agriculteurs confrontés à l’impossible transmission de leur exploitation et qui éprouvent alors le sentiment d’une vie perdue face à l’héritage refusé. »
Ce risque est grandissant face à l’accroissement des difficultés à la transmission des exploitations. Depuis les années 1980, le nombre d’exploitants agricoles est en diminution constante et le nombre d’exploitations baisse d’environ 3 % par an, conséquence d’une baisse continue du revenu agricole par hectare de terre cultivé.
Face à ce constat la Coordination Rurale estime que contraindre les futurs cédants c’est méconnaître le milieu agricole : la plupart des agriculteurs ont une réelle volonté de transmettre leur outil de production, dans un cadre familial comme en dehors, afin de voir perdurer l’outil qu’ils ont développé tout au long de leur carrière et pour lequel ils ont consenti à de nombreux sacrifices. Pour la Coordination Rurale les mesures contraignantes sont à proscrire, comme par exemple le conditionnement du maintien des aides PAC pour les agriculteurs en fin de carrière à l’existence d’un projet de transmission, réclamé par les JA. Cependant, les agriculteurs se heurtent aux réalités économiques et sociologiques : les retraites agricoles faibles les obligent à rentabiliser leur fin de carrière et le renouvellement des générations patine.
En plus du non-renouvellement des agriculteurs (actuellement le taux de renouvellement est de 70 %) il faut savoir que dans 5 ans la moitié des agriculteurs français sera en âge de prendre sa retraite. Face à ce défi, il est primordial d’encourager l’installation et de faciliter la transmission.
3/ L'isolement
« La troisième configuration s’intéresse pour sa part à une cause plus classique en sociologie du suicide, à savoir l’isolement social Plus distants des institutions professionnelles, comme les syndicats ou les Coopératives d’Utilisation du Matériel en Commun (CUMA), ils sont par ailleurs davantage célibataires Les liens professionnels, les sociabilités locales, les attachements conjugaux et familiaux se délitent progressivement, jusqu’à trouver une « consécration » institutionnelle par le divorce, qui précède de quelques jours leur suicide. L’alcoolisme doit être vu comme un symptôme de leur mal-être davantage que comme une cause initiale. Il renforce d’autant plus leur sentiment de honte sociale qu’ils ne peuvent se soustraire aux regards des voisins, des collègues, de la famille… De liens protecteurs, ces relations d’un village où tout le monde se connaît, deviennent des liens destructeurs, aggravant l’état de détresse dont ils ne peuvent se soustraire, comme si aucun lieu ou réseau ne pouvait plus devenir neutre socialement. »
Face à la disparition progressive des structures publiques ou privées c’est toute la question du développement des territoires ruraux qui est posée.
C’est le cas par exemple des abattoirs de proximité qui permettent de conserver ou de recréer des filières locales avec des transformateurs locaux. Le maintien d’outils de proximité constitue non seulement une réponse pour conserver un tissu dense de fermes sur l’ensemble du territoire français mais offre également de nouvelles opportunités aux agriculteurs pour la commercialisation de leurs productions. La CR défend la mise en œuvre d’une véritable politique volontariste en faveur d’abattoirs de proximité.
En complément des abattoirs traditionnels, nous défendons la mise en place d’abattoirs mobiles, respectueux de la séparation des étapes d’abattage. Les ateliers/laboratoires constituent quant à eux un premier niveau de réponse en direction des producteurs qui désirent s’essayer à la transformation et à la vente directe, sans que les risques financiers ne soient dissuasifs. Ils constituent une opportunité pour favoriser les projets de diversification et recréer du lien entre les professionnels.
De même, la Coordination Rurale se satisfait qu’enfin la restauration collective entre dans les préoccupations nationales. Nous estimons en effet que la relocalisation de l’approvisionnement en restauration collective est un outil de développement agricole notamment par le maintien de l’emploi sur le territoire, l’entretien du lien social entre usagers et agriculteurs et la meilleure rémunération de ces derniers.
Rupture avec la société Conjointement à l’isolement, un événement pouvant précipiter le passage à l’acte est la rupture avec la société. La rupture du lien entre le monde agricole et les Français s’accentue ces derniers temps. Les critiques sur les modes de production font place à des actes de violences. Intrusions dans les bâtiments d’élevage, activisme anti-viande ou anti-pesticides, les attaques sont de plus en plus nombreuses et barbares avec notamment plusieurs cas d’incendies volontaires qui portent directement atteinte à la vie des agriculteurs. . Si la confusion des concepts est manifeste, que les croyances l’emportent sur la raison, que la pression sociale devient de plus en plus violente et que l’idéologie prend le masque de la vérité, il est indispensable de prendre des mesures claires à ce sujet. Pour la CR, l’écologie ou le bien-être animal méritent des débats intellectuellement et scientifiquement honnêtes qui conduisent à fixer des règles à respecter, dont l’importance soit comprise par tous.
Déshumanisation des rapports La confiance est d’abord liée à la proximité avec la possibilité éventuelle d’une relation interpersonnelle. Depuis quelques années le lien entre les agriculteurs et le reste de la société semble coupé. • Banques Aujourd’hui les conseillers de banque ne sont pas autorisés à conserver un secteur très longtemps, des codes de déontologie insistent sur la relative distance à garder avec la clientèle. On observe une perte de pouvoir des caisses locales au profit des systèmes automatisés, la direction cherchant à limiter les effets d’interconnaissance alors que la clientèle agricole est attachée à une forte personnalisation de la relation bancaire. Cette dépersonnalisation devient dramatique aux yeux de certains agriculteurs qui rencontrent de graves difficultés. • Consommateurs De même un citadin a très peu l’occasion de croiser ou de discuter avec un agriculteur. Ces derniers deviennent un simple rouage anonyme de la filière alimentaire industrialisée qui produit une alimentation transformée.
4/ Perte de sens
« La perte de sens de l’engagement dans le travail se rencontre avant tout lors des périodes de crise agricole, car ces dernières viennent menacer l’indépendance statutaire en fragilisant la situation économique des exploitations. Or, l’engagement dans le travail se fait au nom de cette indépendance. »
Étant fortement attachée à la fonction nourricière du métier d’agriculteur, la Coordination Rurale est particulièrement sensible à ce facteur. Il est clair qu’en ayant poussé les agriculteurs à vendre à perte sur le marché mondial, la France et l’Europe ont leur part de responsabilité dans le génocide paysan.
Il y a deux façons pour influencer le revenu des agriculteurs : assurer des prix rémunérateurs en les augmentant et/ou en diminuant les charges :
1/ Des prix rémunérateurs
La Politique agricole commune asservie à l’ultralibéralisme et la volonté des responsables politiques européens et français de faire de l’agriculture un secteur économique comme les autres, soumis aux règles de l’OMC et à l’économie de marché, ont incité l’agriculteur à investir massivement, à se spécialiser dans un nombre restreint de productions et à s’engager dans la course à la productivité et la compétitivité, le tout en respectant les contraintes de la PAC et la pression psychologique et financière des contrôles qui en découle.
En parallèle, les pouvoir publics ont complètement et intentionnellement délaissé la régulation des productions et des marchés. L’État s’est désengagé de la recherche et de la prévention des risques sanitaires, accentuant ainsi le sentiment d’abandon éprouvé par les agriculteurs. Les agriculteurs français ont depuis supporté la chute des prix et leur volatilité grimpante, les
crises sanitaires (grippe aviaire...), les aléas climatiques, la dégradation des conditions de vie et de travail. Laisser les agriculteurs seuls pour affronter tout cela est criminel ! Pour la Coordination Rurale, il est inconscient d’encourager un système de production qui pousse à l’endettement plutôt que des systèmes plus légers en charge et peut-être plus rémunérateurs. Étant donné que ce modèle productiviste est prôné par le syndicat majoritaire qui cogère les décisions politiques, il est urgent de revoir les règles encadrant la représentativité syndicale.
Agir à l’échelle de la France : Même si, comme nous venons de le détailler, la Coordination Rurale a la conviction que la solution à la rémunération des agriculteurs réside dans une PAC protectrice basée sur des prix rémunérateurs, vous parlementaires, avez la possibilité de freiner les importations prédatrices à bas coûts qui concurrencent de façon déloyale la production européenne et qui de surcroît ne correspondent pas à nos normes sanitaires, sociales et environnementales.
Nous vous remercions à ce titre d’avoir inscrit dans la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole l’article 44 qui indique qu’« il est interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation. »
Or, au vu de cet article, il apparaît aujourd’hui que le gouvernement français n’est pas en règle. En effet, il est spécifiquement indiqué qu’il s’agit des produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits interdits en Europe et non des produits agricoles répondant aux limites maximales de résidus autorisées.
Afin de répondre correctement au texte, il conviendrait de constituer un inventaire exhaustif des produits phytopharmaceutiques, vétérinaires et d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne, complété par la liste des pays ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par l’Europe.
Considérant que la France n’a pas les moyens de contrôler l’ensemble des marchandises entrant sur le territoire français, la charge de la preuve du respect de cet article doit porter sur les pays exportateurs qui devraient prouver qu’il n’a pas été fait usage de matières interdites en Europe sur les produits vendus (comme cela a été le cas pour les cerises traitées au Diméthoate).
Face à la défiance et l’inquiétude des consommateurs et à la détresse des agriculteurs soumis à une concurrence déloyale, l’État français se doit de garantir la sécurité alimentaire et sauvegarder notre agriculture.
2/ Réduire les charges
Les charges sur la profession agricole sont très lourdes et concernent divers domaines (social, Chambres d’agriculture, développement agricole, sanitaire, coopératives, etc.). Pour la Coordination Rurale, il faut favoriser toutes les mesures qui réduisent les charges des agriculteurs, favoriser toute mesure qui apporte de l’autonomie et de la transparence dans les liens entre les agriculteurs et tous leurs partenaires. La liste des propositions en ce sens pourrait être très longue, en voici deux :
• Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) La CR travaille avec le think tank Agriculture Stratégies sur des indicateurs RSE permettant de noter les acteurs de l’agroalimentaire selon leurs relations avec leurs fournisseurs. L’intégration dans la RSE d’un volet sur le traitement des agriculteurs par leurs clients apparaît aujourd’hui partiellement dans les préoccupations de l’Afnor. Il faut aller plus loin afin que la RSE intègre désormais le 1er maillon de cette chaîne qui doit être vertueuse pour tous y compris les agriculteurs (dont les coopérateurs). Le syndicat note par exemple que les risques psychosociaux ne sont pas subis que par des salariés et demande l’ajout d’une mention sur la protection de l’exploitant contre ces risques.
La CR souhaite également qu’une attention particulière soit portée à la lutte contre la corruption, l’engagement politique responsable et la concurrence loyale, en regardant par exemple les montages statutaires des industriels, en France et à l’international ainsi que la transparence de leurs pratiques.
Pour la Coordination Rurale, il va de l’intérêt et de la pérennité de toute la filière agricole que les « parties prenantes de la chaîne de valeurs » puissent afficher des comportements exemplaires vis-à-vis de ceux qui sont à l’origine même de leur richesse !
• Coût du travail Dans le secteur des fruits et légumes, le coût de la main-d’œuvre représente en moyenne 50 % du coût de revient du produit. En France, le coût de la cueillette se situe entre 11 et 13 €/h, contre 6 €/h en Allemagne et 7 €/h en Espagne ! Soit jusqu’à 7 €/h de différence ! En effet, l’Allemagne a supprimé l’équivalent allemand du SMIC pour les emplois agricoles. Ainsi, pour un producteur allemand, un prix de vente de 0,20 €/kg de mirabelles est rémunérateur, alors que le coût de revient du producteur français est de 0,45 €/Kg !
Pour répondre à cette distorsion la CR demande l’expérimentation de la TVA sociale en agriculture : il s’agit de remplacer les cotisations sociales (baisse des coûts de production pouvant favoriser l’embauche) par une TVA supplémentaire qui fera contribuer à notre protection sociale les produits importés et qui en supprimera la charge aux produits exportés. C’est une solution durable pour sortir de l’ornière de la dette sociale française, baisser le coût du travail dans les entreprises, redonner de la compétitivité à nos produits et donc relocaliser notre économie. (Vous trouverez les explications de la TVA sociale dans le dossier ci-joint et le tract pour l’emploi en production laitière).
Une fois qu’un facteur de risque (ou plusieurs) est atteint, comment identifier les facteurs d’un possible passage à l’acte, que faire concrètement pour aider les personnes une fois qu’elles sont dans une situation de détresse ? Des moyens supplémentaires doivent être accordés à des associations qui font un travail formidable mais qui sont malheureusement souvent débordées par les demandes (solidarité paysans, Samu social agricole, APRED…).
La MSA doit se recentrer sur ses missions sociales, il pourrait être envisagé que le recouvrement des cotisations soit géré par le régime général afin que la MSA se consacre pleinement à ses missions sociales (prévention, accompagnent…). En effet, il est difficile pour certains de demander de l’aide auprès de l’organisme envers lequel ils ont des dettes importantes.
Cellule de surveillance
Le développement du réseau Agri-Sentinelles de l’Idele est une bonne initiative. Tout en adhérant à la démarche, la Coordination Rurale poursuit son combat pour qu’une veille renforcée soit mise en place au sein de la MSA de chaque département avec une cellule de surveillance réunissant entre autres des représentants de chaque syndicat agricole, avec une attention particulière portée aux agriculteurs identifiés comme rencontrant des situations difficiles (par exemple en difficulté de paiement des cotisations sociales).
Fonds pour la prévention
L’exemple de l’APRED : L’Association pour la Prévention et le Redressement des Exploitations en Difficultés (APRED) est une association loi 1901 créée en 1987, à vocation sociale et technique agissant en faveur des agriculteurs en difficulté. La Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, administrée par la CR, en assure le fonctionnement technique par une convention de moyens mis à disposition de l’association (matériel, locaux, secrétariat, animation). En plus du travail d’expertise en comité « Agridif » départemental, l’association gère un fonds social et apporte son aide ponctuelle en cas de sinistres agricoles.
Face aux difficultés grandissantes des agriculteurs, les responsables de l’APRED ont décidé de constituer un fonds social pour venir en aide aux agriculteurs le plus précocement possible. Accident, maladie, coupure EDF, conjoint ou enfant malade, décès, dépression, hospitalisation... autant de situations qui peuvent faire entrer une exploitation dans une spirale de difficultés.
Le fonds social a été créé en 2002. Financé à 60 % par la MSA et 40 % par le Conseil départemental, son montant total annuel est d’environ 90 000 €.
La demande d’aide doit se faire par l’intéressé, et bien souvent elle se fait sur les conseils d’un tiers. Il est important que la démarche soit volontaire car elle déclenche la visite d’un conseiller de la Chambre d’agriculture missionné par l’APRED et d’un travailleur social de la MSA qui peut présenter des solutions spécifiques comme par exemple le séjour de répit, l’objectif étant d’obtenir une double lecture : sociale et technico-économique.
Les dossiers sont examinés en Comité Social (MSA, Conseil départemental, APRED). La validation par ce comité permet l’attribution d’une aide directe pouvant atteindre 2 700 €, aide octroyée, par exemple, pour faire face à des charges supplémentaires dues à l’embauche de main-d’œuvre. Ce fonds est chaque année consommé en totalité.
Rétablissement et développement de l’aide au répit nationale
Dès sa création, et en une seule année, la MSA avait accompagné près de 3 500 exploitants agricoles en situation de burn-out ou d’épuisement professionnel. Actuellement la plupart des MSA maintiennent le dispositif, mais il convient de la réintégrer dans les mesures nationales et de la développer.
Service de remplacement
La CR milite aussi pour qu’un service de remplacement soit accessible et équitable pour tous les agriculteurs, indépendamment de leur affiliation à un syndicat en particulier. Ce n’est aujourd’hui pas le cas dans certains départements, dans lesquels les Chambres d’agriculture administrées par les FDSEA ouvrent des droits particuliers aux adhérents de leur syndicat (tarifs préférentiels, priorité sur la liste d’attente…).
Le fonctionnement de ce service est à améliorer aussi en ce qui concerne la disponibilité de salariés compétents à la hauteur des attentes des agriculteurs, notamment dans certaines productions spécialisées. L’accréditation de salariés à la demande des exploitants doit être facilitée pour diversifier les compétences.
Mobilisations de tous les acteurs
La proposition de loi sur la prévention du suicide agricole portée par le Sénat fin 2019 entre pleinement dans cette rubrique. Au même titre que ce que proposent les sénateurs, il nous semble intéressant d’élargir cette action à tous les fournisseurs agricoles ainsi qu’au service recouvrement de la MSA. En effet, certains agriculteurs privilégient le paiement de leurs emprunts au détriment de leur dette sociale. Ainsi, dès lors que le service recouvrement de la MSA constate un défaut de paiement récurrent, il doit informer l’adhérent que des accompagnements sont possibles en cas de difficulté financière et qu’il peut alerter les organismes de mutualité sociale agricole mentionnés à l’article L. 723-2 du Code rural et de la pêche maritime pour lui offrir un accompagnement.
La CR souhaite qu’il y ait une obligation d’alerte auprès d’une institution, pour tous les fournisseurs dès qu’un agriculteurs a plus de X mois de retard (à définir) de façon à anticiper des situations économiques qui s’enlisent.
Pour les mêmes raisons, la CR demande à encadrer les coopératives qui proposent des avances de trésorerie pour continuer à financer les approvisionnements. Ces avances de la coopérative sont rendues possibles grâce à la valeur ajoutée non redistribuée équitablement en rémunération de nos productions.
À ce titre, la coopération doit retrouver son esprit initial, redevenir l’outil qui prolonge l’exploitation et lui procure un meilleur résultat, se distinguant ainsi du privé tout en profitant au territoire où elle se trouve plutôt que de chercher à se développer en tant que structure, notamment à l’international. La stratégie d’investissement des groupes coopératifs doit, en priorité, aider à l’amélioration des revenus de leurs adhérents et être tournée vers le développement local. La CR milite pour une réforme destinée à réserver le statut coopératif – dont découle un régime fiscal très favorable – aux seules coopératives de taille humaine et réellement gouvernées par leurs adhérents, conformément à l’esprit confirmé par la loi Hamon de 2014 sur l’économie sociale et solidaire.
Concernant les banques, la CR demande que soient encadrées les restructurations de prêts qui permettent aux banques de consolider leurs propres garanties.
De même, il convient d’encadrer les agios qui finissent d’enterrer les agriculteurs endettés.
En cas de rupture de paiement par un agriculteur, il convient que la banque (avec des élus quand il y en a) organise une réunion avec les partenaires de l’exploitation en conviant un tiers de confiance, ou un représentant syndical, prioritairement choisi par l’agriculteur car il est vulnérable et doit être accompagné.
En effet, nous avons constaté que de nombreux organismes ne sont pas corrects avec les agriculteurs en leur facturant des services inutiles. Par exemple, des coopératives facturent des conseils « Phyto » alors que l’obligation de la séparation conseil/vente n’est pas encore effective.
De plus, il convient d’encadrer les contrats d’assurance afin de ne pas exclure les agriculteurs en les classant dans une catégorie à risques.
Concernant le suicide, n’est-il pas possible de créer un statut particulier pour les exploitants identifiés « à risque » ? Ce statut leur permettrait de bénéficier d’un accompagnement quotidien par une équipe adaptable en fonction des besoins, composée par exemple d’assistantes sociales, de psychologues, de techniciens, permettant une prise en compte globale de la situation. De plus, le suivi de l’agriculteur étant la priorité, ce statut ouvrirait des droits particuliers sur les obligations PAC (suspendre certaines contraintes chronophages ou mesures pénalisant le revenu…) ou des déductions fiscales.
Les contrôles constituant une source de stress intense, les personnes identifiées comme étant fragiles pourraient n’être soumises qu’à des contrôles pédagogiques.
Enfin, il pourrait être envisager de rendre les CDOA installations anonymes (exploitant et organisme bancaire) de façon à traiter le dossier uniquement sur l’aspect économique.
Établir un protocole collectif
Chaque département doit mettre en place un protocole collectif clair et identifié : amélioration du recensement, meilleure connaissance du phénomène, information et formation au sein de la profession et des partenaires, mesures de détection, d’accompagnement, liste des actions à réaliser, calendrier de suivi…
Développer l’information du grand public sur le suicide
Des actions d’information autour des facteurs de risque de suicide doivent être développées par la MSA. La prévention en amont de la souffrance psychique et des actes suicidaires doit s’appuyer sur les partenaires associatifs et syndicaux, qui sont au contact direct de la population et à l’écoute des personnes en souffrance. Les partenaires associatifs sont en effet un relais important des actions de communication et d’information en matière de santé mentale et de prévention du suicide et contribuent par leur expertise au développement de la prévention
Mieux diffuser l’information sur les dispositifs d’aide et d’écoute
Créer et actualiser des annuaires recensant les ressources et contacts disponibles à destination des professionnels et du grand public.
Former les partenaires en milieu de travail sur les risques psychosociaux
Il est essentiel que les partenaires de travail soient informés et formés à la prévention de ces risques et que l’ensemble du personnel puisse acquérir un socle de connaissances en matière de prévention des risques psychosociaux. Les partenaires agricoles (banquiers, assureurs, salariés agricoles, agents de la MSA, techniciens…) disposant d’une information et de formations doivent être à leur disposition.
Améliorer la qualité des données et le suivi de la mortalité par suicide
Mener de nouvelles études et recherches pour améliorer l’état des connaissances, notamment sur les déterminants des actes suicidaires agricoles et de leur répétition.
Organisation et mobilisation collective
- Évaluer et de mesurer les effets des plans de prévention du suicide - Établir un protocole collectif départemental - Le protocole doit contenir les coordonnées d’associations et de psychologues et psychiatres à contacter - Élaborer une plaquette contenant les différentes mesures mises en place pour l’accompagnement des personnes sensibles ainsi que la liste des personnes à contacter - Faire connaître le protocole - Diffusion très large d’une plaquette et notamment à l’ensemble des partenaires étant en contact avec des agriculteurs - Faire des formations autour du protocole - Développer l’information du grand public sur le suicide - Meilleure visibilité du n° vert - Mieux diffuser l’information sur les dispositifs d’aide et d’écoute - Proposer un rendez-vous à l’issue d’un appel - Améliorer la qualité des données et le suivi de la mortalité par suicide - Former les partenaires en milieu de travail sur les risques psychosociaux - Donner plus de moyens aux structures comme SOS paysans en difficultés, Solidarité paysans, SAMU social agricole...
Anticipation
- Obligation d’alerte auprès d’une institution, pour tous les fournisseurs dès qu’un agriculteur a plus de X mois de retard (à définir) - Encadrer les coopératives qui proposent des avances de trésorerie pour continuer à financer les approvisionnements - Encadrer les restructurations de prêts qui permettent aux banques de consolider leurs propres garanties - En cas de rupture de paiement par un agriculteur, il convient que la banque (avec des élus quand il y en a) organise une réunion avec les partenaires de l’exploitation - Encadrer les contrats d’assurance afin de ne pas exclure les agriculteurs en les classant dans une catégorie à risques - Rendre les CDOA installations anonymes (exploitant et organisme bancaire) de façon à traiter le dossier uniquement sur l’aspect économique - Les personnes identifiées comme étant fragiles pourraient n’être soumises qu’à des contrôles pédagogiques - Développement du fonctionnement de l’APRED dans tous les départements
Réforme
- Revoir les missions de la MSA qui doit se recentrer sur ses missions sociales, il pourrait être envisagé que le recouvrement des cotisations soit géré par le régime général afin que la MSA se consacre pleinement à ses missions sociales (prévention, accompagnent…). - MSA doit pouvoir se saisir d’elle-même pour contacter les personnes si des risques lui sont signalés (en interne comme par un tiers) - Réintégrer l’aide au répit dans les mesures nationales et la développer - Service de remplacement doit être accessible et équitable pour tous les agriculteurs, indépendamment de leur affiliation à un syndicat en particulier
Recréer du lien
- Développement des territoires et des outils de proximité - Réhumaniser les rapports avec les partenaires - Réhumaniser les rapports avec les consommateurs
Prendre le mal à la racine
- Rendre la dignité aux agriculteurs par des prix rémunérateurs - Revoir la PAC en ce sens - Mettre en place l’exception agriculturelle - Mettre en place la TVA sociale - Hausse des retraites - Lutte contre la corruption, pour l’engagement politique responsable et la concurrence loyale, en regardant par exemple les montages statutaires des industriels, en France et à l’international, ainsi que la transparence de leurs pratiques.