La hausse des échanges et l’augmentation des accords de libre-échange interpellent quand, dans le même temps, la prise de conscience et la demande du consommateur pour des produits locaux, tracés, soucieux du bien-être animal et respectueux des normes environnementales strictes explosent.

Ces exigences se répercutent sur l’agriculteur européen et, souvent plus durement, sur l’agriculteur français, lequel doit produire toujours mieux, sur moins de surface et avec moins de solutions techniques liées à la suppression de certains produits de santé du végétal. Tout cela en affrontant une concurrence intra et extra-européenne rude, facilitée par un dumping social, environnemental et sanitaire.

N’est-il pas légitime de demander une cohérence entre l’interdiction d’usage d’un produit phytosanitaire ou vétérinaire dans l’Union européenne et l’autorisation d’importation en provenance des pays tiers qui autorisent ce même produit ?

L’harmonisation des pratiques européennes et internationales : un pari peu envisageable

Il est peu probable que l’UE ait la capacité d'imposer ses vues sur le climat dans les échanges commerciaux. Cela est très ambitieux, mais sans une adhésion de tous les pays du monde, c’est voué à l’échec. La lutte contre le dérèglement climatique n'est déjà pas mise au même niveau en Europe, les choix en matière de mix énergétique le montrent. Il est, aussi, prétentieux et, surtout, illégitime de vouloir limiter le potentiel de croissance des autres pays, qui veulent, eux aussi, accéder à certains produits de consommation ainsi qu’à un niveau de vie supérieur.

La problématique est identique pour les clauses sociales. Sauf à les unifier au plan mondial, c'est irréaliste. La législation n’est pas harmonisée au niveau de l’UE (le dumping social intra-UE est bien une réalité), alors comment l’envisager au niveau mondial ?

Même chose pour les normes environnementales. Certains pays ont une législation fiscale attractive, d'autres fondent leur attractivité sur des normes environnementales minces. Ces pays attirent les délocalisations ou fournissent la planète en matières premières rares.

Sur ces deux points, au-delà de la fort possible impasse commerciale, il faut d’abord affronter une situation au mieux ambiguë, au pire hypocrite sur les conditions de travail et les désastres environnementaux…

Quelle place pour l’alimentation, l’agriculture et la santé publique ?

Comment considère-t-on l’agriculture ? Comme un secteur stratégique, indispensable ? Ou comme une activité commerciale comme une autre que l’on peut échanger contre des voitures, des avions ou des smartphones ? Même question pour la santé publique. Le commerce doit-il primer sur tout ? Et en particulier sur un besoin primaire comme se nourrir ?

Demander la réciprocité et refuser les importations en provenance de pays autorisant des produits interdits par l’UE est une bataille normative et politique, mais menée au nom de la santé publique !

La toxicité chimique est (normalement) sourcée scientifiquement à un niveau technique. Elle est donc moins soumise aux perceptions émotionnelles de la société (comme l’est le débat sur le climat par exemple) : le produit est dangereux, on interdit son utilisation pour protéger les consommateurs, et donc les importations de produits alimentaires qui en ont fait usage doivent l’être également ! Outre une cohérence sanitaire appréciable, l’ensemble des agriculteurs sont ainsi sur le même pied d’égalité technique.

D'un autre côté, si l'UE n'arrive pas à justifier cette l'interdiction auprès de ses partenaires, c'est à se poser des questions sur le bien-fondé du boulet que l’UE aura décidé d’accrocher aux pieds des producteurs européens… .

Clauses de sauvegarde ou clauses miroirs ? Les deux !

Si les clauses miroirs sont indispensables pour les prochaines négociations d’accords commerciaux, elles ne règlent pas le problème de ceux déjà conclus, lesquels, faute de rétroactivité, seront toujours des passoires. Aussi, pour une réelle efficacité et une meilleure réactivité, la CR estime que les clauses de sauvegarde sont indissociables des clauses miroirs et à défendre de la même façon. L’exemple du diméthoate, interdit pour les productions de cerises, montre que c’est possible et efficace.

Il ne s’agit pas d’apparaître déloyal dans les relations commerciales mais de rééquilibrer les échanges pour protéger la santé du consommateur et aussi le secteur stratégique qu’est l’agriculture. Autrement, les agriculteurs, de même que la santé des consommateurs, seront toujours les parents pauvres des échanges commerciaux.

La piste de l’exception agriculturelle

Sur les crispations autour des clauses miroirs ou tout autre système visant à interdire les importations en provenance de pays tiers ne respectant pas nos normes sanitaires et environnementales, planent les sanctions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’agriculture n’est pourtant pas une activité économique comme les autres et il n’existe pas une agriculture mondiale, mais une multitude d’agricultures spécifiques qui ne peuvent donc pas se soumettre à des prix uniformisés et alignés sur celle qui serait la plus compétitive.

Les travaux de l’institut Veblen / FNH et Interbev avancent des pistes intéressantes et prometteuses, compatibles avec l’OMC. Reste que le logiciel libéral de la Commission et de nombreux États membres doit encore évoluer fortement. L’absence d’accord dans le compromis final des négociations PAC sur l’article 188 bis du règlement de l’Organisation commune des marchés (OCM), porté par le Parlement européen, est un exemple regrettable. Il prévoyait pourtant que « les produits agricoles et agroalimentaires ne peuvent être importés en provenance de pays tiers que s’ils respectent des normes et obligations de production conformes à celles adoptées, notamment dans les domaines de la protection de l’environnement et de la santé, pour les mêmes produits récoltés dans l’Union ou élaborés à partir de tels produits ».

Pour en finir avec ces limitations et pour redonner à l’agriculture, à l’alimentation et aux agriculteurs une place digne, qui ne soit plus celle de la variable d’ajustement des accords commerciaux, il est temps de décréter l’exception agriculturelle (ou exception agricole) et sortir les agricultures du monde des négociations de l’OMC pour les placer sous l’égide de l’ONU.

D’aucuns verront cela comme une limitation ou un frein, mais c’est aussi et surtout la solution pour réparer l’erreur historique commise par les américains qui avaient refusé de ratifier en 1948, début de la guerre froide avec l’URSS, la charte de la Havane qui instituait cette exception !

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