Bien que la France compte encore près de 450 000 agriculteurs, beaucoup des aliments que nous trouvons dans nos assiettes arrivent de bien plus loin. Faute d’être autosuffisante sur le plan alimentaire, la France a quasiment doublé les importations de matières agricoles depuis 2000 (+ 87 %) dont 10 à 25 % ne respecteraient pas les normes minimales imposées aux producteurs français.*

Parlementaires, ONG… Ils sont de plus en plus nombreux aux côtés de la CR à dénoncer les importations déloyales auxquelles les agricultures française et européenne sont confrontées ; et il était temps ! La lutte contre ces importations prédatrices constitue non seulement un enjeu économique mais surtout un problème de sécurité sanitaire et de santé publique majeur. Pourquoi exiger des agriculteurs français qu’ils produisent sous des contraintes toujours plus poussées si nous laissons entrer sur notre territoire des denrées alimentaires pour les humains et les animaux qui ne correspondent pas à nos standards en matière de pesticides, médicaments vétérinaires ou encore traçabilité ?

L’aberration réside-t-elle dans le fait que cette situation existe ou qu’elle existe alors qu’un article de loi l’interdit ?

Avis de disparition : où est passé l’article 44 ? Si les États généraux de l’alimentation ont vendu beaucoup de rêve aux agriculteurs sans réellement faire la différence au final, il y a tout de même un article qui a le mérite de mettre un stop à une grosse mascarade afin de nous protéger, agriculteurs et consommateurs, et d’apporter de la cohérence dans nos assiettes. Il s’agit de l’article 44 de la loi du 30 octobre 2018 (les dates ont leur importance !) transcrit dans le Code rural et qui est ainsi formulé : « Il est interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d'aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d'identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation. L'autorité administrative prend toutes mesures de nature à faire respecter l'interdiction prévue au premier alinéa. »

Une belle avancée qui n’en est pas vraiment car en réalité rien n’a changé. Alors que le syndicat dans lequel je milite, la Coordination Rurale, multiplie les actions et les courriers à ce sujet, cela fait 8 mois que la loi est censée être appliquée et que le gouvernement ne fait rien ! Alors que les consommateurs ne cessent de demander davantage de traçabilité et de qualité, que le gouvernement leur promet la tête du glyphosate pour satisfaire leurs attentes, concrètement il ne fait rien pour que ce que l’on retrouve effectivement dans nos assiettes soit de qualité au moins équivalente à ce que nos agriculteurs sont capables de produire.

Les mêmes règles pour tous ! À titre d’exemple, l’Europe compte aujourd’hui 464 substances phytosanitaires autorisées, soit 2 fois moins qu’il y a 30 ans ; autant de substances interdites toujours utilisées dans des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, à l’exemple de l’atrazine (également autorisée en Ukraine, au Canada et aux USA), du diquat, du paraquat ou du lindane. Le plus connu, le glyphosate, est quant à lui utilisé par la plupart de nos partenaires économiques d’Amérique pour désherber leur maïs, canola et soja génétiquement manipulés. C’est pourquoi si nous l’interdisions demain sans stopper l’importation de ces denrées alors la différence dans l’assiette sera nulle pour les consommateurs mais destructrice pour les agriculteurs français.

En France, les prix des grandes cultures ont été divisés par 3 en 30 ans, et la plupart de mes collègues n’ont plus de revenu depuis 5 ans. Alors que nos contraintes de production s’alourdissent et que les prix sont mondiaux, il est indispensable de garantir que chaque denrée alimentaire destinée in fine à la consommation humaine ou animale en provenance d'un pays tiers corresponde strictement à nos standards européens de production. Important d’une part pour la santé des consommateurs mais aussi pour la santé financière des exploitations françaises car ces importations déloyales créent d’importantes distorsions de concurrence.

La sécurité alimentaire ne doit pas être un simple concept Cet article de loi doit donc s’accompagner par des actes concrets, à commencer par un inventaire précis de tous les produits, médicaments vétérinaires, et méthodes de traçabilité autorisés dans les pays tiers et interdits en Europe. Car, face à la défiance et l’inquiétude des consommateurs qui se trompent de cible en tirant à boulets rouges sur les paysans français sans s’intéresser réellement à ce qu’ils ont dans l’assiette et face à la détresse des agriculteurs soumis à une concurrence déloyale, l’État français se doit d’agir !

Thierry Guilbert, Agriculteur en polycultures élevage à Puysegur (32)

* source : rapport d'information du Sénat intitulé « La France, un champion agricole mondial » (juin 2019)

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