Produit culturel et important secteur économique, vecteur du prestige français à l’international et pointé du doigt par les lobbies anti-alcool, adoré par les passionnés et délaissé au quotidien… Le vin peine, en France, à sortir de la crise et à assurer un revenu suffisant à ceux qui le font.

Les débats récents autour de la loi Hôpital patients santé territoires donnent l’occasion de revenir sur son statut particulier et de lancer des pistes pour favoriser la relance du secteur viticole français.

Des voyants internationaux au vert…

La production mondiale de vin est stable

En 2008, la production mondiale a été de 266,9 millions hl (Mhl). Les pays historiquement producteurs ont diminué leur production (France : -24% sur les quatre derniers millésimes, Espagne : -19%). Les campagnes d’arrachage et la climatologie en sont les deux principaux responsables. Les nouveaux pays producteurs, eux, annoncent leurs ambitions de plantation (Russie : + 47 000 ha). La production devrait donc augmenter dans les années à venir, pour avoisiner les 300 Mhl. L'Italie est à présent le plus gros producteur et le plus gros exportateur de vin au monde, en volume, devant la France.

La consommation mondiale de vin continue d’augmenter

La consommation mondiale de vin a augmenté de 2,1% par rapport à 2006 (soit 31,45 milliards de bouteilles). Cette accélération de la croissance, la plus forte depuis 2003, porte à +6,16% le développement de la consommation sur les 5 dernières années. L’étude VINEXPO/ IWSR prévoit pour 2012 que la consommation mondiale de vin va continuer d’augmenter de plus de 6% sur 5 ans.

Les disponibilités sont donc faibles

Entre une production de 266,9 Mhl et une consommation de 246,9 Mhl (estimation), le solde serait compris entre 13,5 et 33,3 Mhl de vin. Dans les deux hypothèses, les disponibilités sont basses ! Car dans celles-ci, il y a non seulement le stock de vin mis à vieillir, mais également le vin destiné à la fabrication de brandies.

Le vin produit secondaire

Le vin n’est plus un produit alimentaire nécessaire, il est désormais un produit superflu. Pour preuve, en cas de difficultés financières, les boissons alcoolisées sont le premier poste de dépense à être réduit. Les ouvriers du début du XXe siècle avaient leur ration journalière de vin. Aujourd’hui, le vin est un produit secondaire à la consommation irrégulière. Autrefois consommé par les ouvriers, il est aujourd’hui plus apprécié par les cadres : 61% des cadres consomment régulièrement du vin sur une semaine contre seulement 46% pour les ouvriers. Le vins a perdu ainsi son statut de boisson populaire et s’est embourgeoisé. Les consommateurs boivent moins, mais mieux : plus cher et plus occasionnellement.

Le vin symbole d’un art de vivre

Le vin conserve un statut symbolique. Boisson de partage, boisson festive, il est associé à un art de vivre. Il est un symbole paternel (c’est le père qui choisit le vin pour le repas), un savoir qui se transmet de père en fils (ou en fille selon les cas !).

Des consommateurs qui doivent choisir

Le vin est un produit difficile à appréhender pour le consommateur : appellations, millésimes, producteurs… Le consommateur est désorienté, et choisit souvent en fonction du prix – et de l’étiquette.
Et sur cette étiquette, les pictogramme fleurissent, mais ne sont pas simples à appréhender… Appréciés, ils constituent une information synthétique, une aide visuelle au choix. Ceux qui concernent l’accord entre les mets et les vins ou qui donnent des informations sur la région d’origine sont particulièrement appréciés. Certains pictogrammes ne sont pas utiles aux consommateurs. C’est le cas des cépages qu’ils ne connaissent pas. D’autres sont incompris, comme le pictogramme de température : est-ce la température à conserver ou à déguster ? Les consommateurs rejettent les pictogrammes trop simplistes, qu’ils jugent infantilisants.

Pour l’anecdote, le pictogramme invitant les femmes enceintes à ne pas boire a rendu perplexes des délégués russes à l’OIV : ils l’ont associé à l’idée que le vin pouvait être contraceptif…

… et pourtant une crise française qui perdure

Des exportations en recul

Selon la Fédération des Exportateurs de Vin et Spiritueux (FEVS), les exportations de vin 2008 ont été stables en valeur : 9,31 milliards € de vins et spiritueux ont été exportés, soit un léger recul de 0,3% par rapport à 2007, année de record historique. Cependant ces chiffres sont en trompe-l’œil. Malgré des expéditions en baisse en volume (-10,5%), le maintien des exportations en valeur n’est dû qu’à l'exceptionnelle valorisation des bordeaux 2005.

De plus, la situation s’est nettement dégradée au dernier trimestre 2008, signe de la brutalité de la crise. Selon le président de la FEVS, "la nette dégradation de nos résultats sur le dernier trimestre 2008 ne fait que préfigurer la situation attendue pour 2009". Deux marchés sont particulièrement dégradés : les Etats-Unis (-12,8%) et l’Angleterre (-2,7%).

Des grands crus en difficulté

Le marché des grands bordeaux est dans l’ornière. Le prix des bouteilles s’étant emballé ces dernières années, ces vins ont fait l’objet de spéculations. Traditionnellement achetés pour être bus, ils l’étaient désormais en vue de réaliser une plus-value à la revente. Avec la crise, le besoin de liquidités se faisant sentir, les stocks remis en circulation sont importants, ce qui déstabilise complètement le marché. Les prix dévissent et dévalorisent les stocks. Du coup, la campagne primeur du cru 2008 s’annonce stratégique pour l’avenir des entreprises.

Les grands crus ne sont que la partie émergée de l’iceberg : les vins français se positionnent globalement plus cher que leurs concurrents étrangers et sont donc défavorisés par la crise.

Des solutions qui n’arrivent pas

Le Conseil de l’oenotourisme, créé le 3 mars dernier, ne suffira pas à endiguer les difficultés des vignerons. Le tourisme c’est bien, mais cela implique a minima de recevoir au caveau, d’avoir des horaires, du personnel. Tout le monde ne peut pas se lancer dans la diversification du métier en faisant des chambres ou des tables d’hôtes. Bien sûr, attirer les touristes dans les régions viticoles est un plus, mais ceux qui connaissent déjà « les Anglo-saxons qui viennent déguster juste avant le resto du midi et n’achètent jamais rien » en sont vaccinés…

Du coup, le besoin de trésorerie est géré différemment en fonction des exploitations. Chez certains, la solidarité familiale joue et permet de tenir. D’autres licencient le personnel et assument le travail supplémentaire. Des vignerons décident de réduire leur exploitation, afin de se recentrer sur la vente directe. D’autres vendent un bout de terrain à bâtir de temps en temps… Et ceux qui n’ont pas d’autre choix arrachent la vigne avec les primes à l’arrachage définitif, ce qui implique d’arracher la totalité de l’exploitation et donc d’arrêter le métier d’agriculteur ou de réorienter l’exploitation.

Une consommation intérieure structurellement en baisse

De 54,4 Mhl en 1975, la consommation française de vin est passée à 33,5 Mhl en 2005 (source OIV), soit une baisse moyenne de 1,6%/an. Sur la même période, la consommation moyenne par individu a été quasiment divisée par deux, chutant de 103 l/an à 55,4 l/an, soit une diminution annuelle de 2,1%. La baisse de la consommation française devrait se stabiliser à l’horizon 2012.

La France a été dépassée en matière de consommation par l’Italie en 2007, et devrait être reléguée au 3e rang par les USA qui deviendront le plus gros consommateur au plus tard en 2010.

Face à la consommation de vin, celle des spiritueux maintient elle une progression régulière (+1,8% entre 2003 et 2007), et elle devrait progresser de 3,13% entre 2008 et 2012. La France resterait donc le 1er pays consommateur de scotch whisky au monde.

Le vin désormais produit à risque

La santé préoccupant de plus en plus les consommateurs, le vin est reconnu par 51% des Français comme un produit à risque. En fait, le vin suit l’évolution de l’alcool, qui est le second produit à éviter après les matières grasses pour 49% des personnes. Hier produit du terroir, aliment, le vin est devenu une boisson alcoolisée comme les autres. Il a perdu son statut d’« exception culturelle ». Ce changement semble lié aux contrôles de vitesse et aux nouveaux messages de santé publique sur l’alcool. L’apparition du pictogramme « femmes enceintes » sur les bouteilles n’a pas arrangé le phénomène !

Le vin désormais produit à risque

Les lobbies antialcooliques montent en puissance, la résistance s’organise

En novembre 2004, une campagne antialcoolique est menée sur le thème " Alcool, votre corps se souvient de tout " (avec un tire-bouchon sur une nappe). En octobre 2005, l’INPES passait comme message : « Il y a la même quantité d’alcool dans un demi de bière, une coupe de champagne, un ballon de vin, un verre de pastis… Pour rester en bonne santé, diminuez votre consommation d’alcool ». Pour ces deux organisations, le vin, boisson traditionnellement française, était en ligne de mire. Pourtant, le « vin, boisson alimentaire » n’était déjà plus d’actualité.

Dernièrement, la loi Bachelot a créé de fortes inquiétudes et provoqué une levée de bouclier de la profession viticole. En effet, le projet « Hôpital, patients, santé et territoires », qui vise à interdire la consommation d’alcool aux mineurs ainsi que les soirées « open bar », était rédigé de manière très générale et de fait était susceptible d’inclure l’interdiction de la dégustation de vin. La CR a écrit à tous les députés et, heureusement, un amendement a permis de clarifier cela.

Face à toutes ces pressions antialcooliques, certains ont décidé de prendre le contrepied marketing. Ainsi, S. et A. Courrèges ont lancé un vin nommé Corazon, estampillé riche en polyphénols, et s’appuyant sur les études montrant les bienfaits d’une consommation modérée. Les Japonais et les Américains semblent réceptifs à cet argumentaire santé.

En février 2009, Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale, a défendu publiquement « le vin comme produit culturel », au même titre que la peinture, la musique ou le patrimoine. Il estime qu’il faut distinguer l’alcool du vin (comme en Espagne) et que s’il faut condamner l’alcoolémie chez les jeunes, nous devons les éduquer au vin.

On entend beaucoup parler de « lobbies ». Si on tente de comparer les deux lobbies en présence, Vin et Société, la seule association fédérant les différentes composantes du monde viticole, a un budget de 180 000 €, dont 78 000 sont consacrés aux opérations comme le site internet par exemple. L’Anpaa (l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie), principale (mais pas la seule) organisation, a elle un budget de 65 M€. Rien de comparable…

Les propositions de la CR : Relancer la consommation intérieure sans antagonisme avec une politique de santé publique améliorée et plus efficace

En créant un vrai projet éducatif et d’information objective du consommateur et en particulier des nouvelles générations, par des visites pédagogiques des écoles dans les chais par exemple. Alors qu’il est prouvé que la consommation modérée et régulière de vin est bénéfique pour la santé, les buveurs réguliers de vin sont en diminution, et en particulier chez les jeunes adultes. Le secteur viticole sera dans une situation désespérée dans 10 ans si nous ne faisons rien. Il est nécessaire de préserver le marché français : il faut mettre en place une véritable information. Certains pays considèrent différemment les boissons alcoolisées en fonction de leur taux d’alcool. L’Espagne a donné une dimension alimentaire au vin. Il serait également bénéfique de communiquer sur le thème de la modération.

En repensant la lutte antialcoolique. En France, 5 millions de personnes ont des problèmes avec l’alcool et 2 à 3 millions sont alcooliques dépendants. Les actions en cours les concernant ne sont pas suffisantes. Il devient urgent de s’attaquer aux véritables problèmes : quelles sont les raisons qui conduisent des personnes à se réfugier dans l’alcoolisme ou toute autre addiction ? La société actuelle, avec le chômage, le stress quotidien, engendre un mal-être ravageur. Il est temps que les pouvoirs publics réagissent en s’intéressant à ces causes. La prohibition n’a jamais solutionné ni les problèmes ni les causes profondes de l’alcoolisme. Aux Etats-Unis, c’est même ce qui a permis à l’alcoolisme de se développer !

Alors, effectivement, le vin contient de l’alcool. Mais ce n’est pas la psychose du lobby antialcoolique, qui n’analyse pas avant de condamner, qui permettra de trouver les solutions à la surconsommation d’alcool. Parce que notre mode de vie et notre rapport à l’alcool ont changé, c’est indéniable. Celui des jeunes s’est totalement transformé. Et c’est bien là le plus inquiétant.

L’alcool et les jeunes

On entend beaucoup parler de « binge drinking ». En français, cela se traduit par « l’assommoir » ou « la défonce ». Il ne s’agit plus d’alcool qui facilite le lien social, mais de boire le maximum possible en un laps de temps réduit. Les premix (mélange d’alcool fort et de soda, très sucrés pour masquer le goût de l’alcool) semblent à première vue les boissons favorites des jeunes.

Selon les premières données d’une étude réalisée en 2007 par l’OFDT (l’Observatoire français des Drogues et Toxicomanies), la consommation régulière d’alcool est en hausse. Aujourd’hui, près de 9 jeunes sur 10 affirment avoir déjà bu des boissons alcooliques. La consommation régulière (10 fois au cours des 30 derniers jours) concerne 13% des adolescents, contre 7%, il y a 4 ans. La bière arrive en tête des alcools consommés, suivie des spiritueux et du champagne. Cependant, le champagne, au vu de son prix, ne doit pas être une boisson consommée régulièrement…

La dernière enquête de l’Institut de Recherches Scientifiques sur les Boissons (IREB) montre que les jeunes Français de 13 à 24 ans ont majoritairement une relation sage avec l’alcool et que la famille joue un rôle important vis-à-vis des risques de consommation abusive. Il n’y a pas d’évolution majeure au cours de ces dernières années mais l’étude signale un abaissement de l’âge de la 1ère consommation et un niveau d’ivresse plus élevé qu’en 2001 (mais plus faible qu’il y a dix ans). Au final, 6 jeunes de 13 à 24 ans sur 10 ont une expérience nulle ou exceptionnelle de l’ivresse ou du « binge drinking » « Pour autant, il ne s’agit pas d’oublier que 4% en moyenne des jeunes ont de graves problèmes avec l’alcool. Nous montrons que les parents ont un rôle important et peuvent intervenir de manière simple pour éviter que leurs ados ne deviennent des consommateurs à problèmes », souligne M. Choquet, directeur de recherche à l’Inserm et présidente du comité scientifique de l’IREB.

La famille et l’éducation sont donc bien les noyaux de la responsabilisation des adolescents face à l’alcool. Le 7/10 de France Inter du 6 mars 2009 portait sur La dimension culturelle du vin en France et les politiques de santé publique en matière d'alcool. JR Pitte, intervenant, plaidait pour une initiation au goût dès l’école, tout comme cela se fait désormais pour l’instruction civique. Il demandait même à ce que la dégustation œnologique soit proposée pour des terminales (17 – 18 ans). Peut-être faut-il effectivement que l’école puisse initier, éduquer, éveiller, former à l’alimentation, par des opérations extérieures comme une fête des saveurs, une semaine de la gastronomie,… qui viendraient rythmer les cycles scolaires.

L’alcool et la santé

Selon le dernier rapport de l’INCa (l’institut national du cancer), publié le 17 février 2009, un verre d’alcool consommé par jour augmente le risque de cancer, et ce risque est proportionnel à la dose absorbée, et ce quel que soit le type d’alcool. « Le risque de cancer apparaît dès le premier verre de vin », a assuré la ministre de la Santé R. Bachelot. Le président de cet institut assure que ce sont les petites doses les plus nocives. Au passage, l’INCa remet en cause l’idée que l'alcool soit bénéfique au système cardiovasculaire.

Niant les effets du « french paradox », cette étude est très controversée. L’association Les 4 vérités sur le vin a rédigé un rapport complet sur cette étude, sous le titre « Halte à la désinformation et à la manipulation », qui est disponible sur internet (blog des 4 vérités sur le vin). De nombreux scientifiques ont fortement réagi à cette publication. Une association l’Honneur du vin a été créée et a introduit un recours administratif auprès du ministère de la Santé pour obtenir la rectification de la brochure.

De nombreuses études montrent en effet que la consommation modérée d’alcool diminue la mortalité cardiovasculaire et la mortalité toutes causes confondues. Cela parce que la consommation modérée et quotidienne de vin aux repas est liée à la diète méditerranéenne. La consommation modérée et régulière de vin diminue le risque de très nombreux cancers en plus d’être bénéfique pour les artères. Et les polyphénols du vin sont des antioxydants reconnus… plus efficaces dans le vin que dans le thé !

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