À qui profiterait vraiment un système assurantiel obligatoire en agriculture : aux agriculteurs ou aux assureurs qui perçoivent les cotisations et fixent les règles de l'indemnisation ?

68 000 contrats d’assurance multirisque climatique ont été souscrits en 2015 Cela concerne : 27 % des céréaliers / 23 % des viticulteurs / 15 % des maraîchers / 2 % des arboriculteurs

65 % du montant de ces contrats est théoriquement subventionné par la PAC. En réalité, l’enveloppe étant insuffisante, la prise en charge est souvent moindre (43 % pour les céréaliers en 2013)

65 % du marché est détenu par Groupama, leader en la matière

AGRICULTEUR : UN MÉTIER À HAUT RISQUE !

Agriculteur est sans doute le métier le plus vulnérable aux aléas climatiques, sanitaires et économiques. Ce dernier type de risque est le plus important car il conditionne la capacité, ou l’impossibilité, de faire face aux deux autres…

Alors qu’en 1962, la Politique agricole commune garantissait un niveau minimum de prix et de revenu pour les productions, l’alignement sur les prix mondiaux à partir de 1992 a confronté les agriculteurs à la volatilité des cours mondiaux mais aussi à de longues périodes de prix bas et ce, alors que les aides de la PAC restent fixes.

Pour tenter de maintenir un revenu, certains se spécialisent alors que d’autres choisissent de s’agrandir afin d’accroître leurs volumes et de réaliser des économies d’échelle ; dans les deux cas, ils augmentent inévitablement leur vulnérabilité aux aléas... et leur effet « boule de neige ». C’est d’ailleurs ce qui s’est passé cette année pour les céréaliers : après deux ou trois campagnes très médiocres, les exploitations étaient si fragilisées économiquement qu’elles n’ont pu absorber les conséquences d’aléas climatiques de grande ampleur. Et c’est bien là l’effet pervers de ces risques : ils se combinent et aggravent réciproquement leurs effets.

Aujourd’hui, les banquiers considèrent légitimement le métier d’agriculteur comme étant à haut risque du fait de sa dépendance à de nombreux facteurs aussi imprévisibles que dangereux pour les trésoreries. Indiscutablement, la gestion des risques en agriculture, et surtout leur prévention, constituent des enjeux cruciaux. Enfin, n’oublions pas le risque social : divorce, isolement, dépression, burn-out, suicide… auquel les agriculteurs sont malheureusement de plus en plus confrontés.

PAYER CHER TOUS LES ANS... POUR UN SINISTRE INDEMNISABLE TOUS LES 10 OU 20 ANS !

Avec les intempéries qui ont touché une bonne partie du territoire le printemps dernier, 2016 s’avère être une année exemplaire en matière d’assurance récolte. Excès d’eau et manque de lumière ont eu raison des cultures d’hiver (et de printemps). Conséquence : les pertes de rendement varient entre 50 et 80 %, voire 100 % dans le pire des cas. Aux inondations succède une longue période de sécheresse, ce qui accentue les dégâts prévisibles sur les cultures de printemps. Il pourrait s'agir là d'une véritable bombe à retardement.

L’assurance tous risques existe-t-elle vraiment ?

Et si l’assurance n’était finalement pas vraiment la solution miracle face aux aléas climatiques… Force est de constater qu’elle n’a en tout cas pas le vent en poupe chez les agriculteurs ! En effet, alors que les pertes de récolte en grandes cultures ne sont plus indemnisées par les calamités agricoles depuis 2009, selon les derniers chiffres seul un quart des céréaliers est assuré. Comment expliquer cette faible adhésion des agriculteurs : serait-ce dû à un manque de discernement de leur part ou alors au manque d’intérêt des contrats qui leur sont proposés ? Zoom sur deux problématiques majeures…

> Frein n°1 : la franchise

Il est vrai que, pour une année comme 2016, l’assurance récolte peut permettre à certains de dépasser les coups durs. Une petite contre-partie est à prendre en compte malgré tout puisque les indemnités perçues sont assujetties sur les plans fiscal et social. Autres points faibles : le coût très élevé de sa franchise dont le champ d’application est extrêmement restrictif !

Pour prétendre à l’aide de 65 % par la PAC, la franchise doit être de 30 % par groupe de culture (25 % chez Groupama) ou de 20 % pour l’ensemble de l’exploitation. Pour atteindre un tel taux de sinistre, la perte sur l’exploitation doit être très importante. Il est certes possible d'opter pour des taux inférieurs de franchise proposés par les assureurs mais les niveaux de primes y sont alors excessifs !

L’exemple récent du Loiret, considéré comme l’épicentre des intempéries pluvieuses de 2016, est très révélateur de la contrainte liée au caractère restrictif de la franchise. Alors que les pertes économiques y sont colossales, certains blés et la plupart des colzas n’y atteignent pas 25 % de pertes par rapport aux 5 années antérieures (dont on a sorti la plus faible et la plus élevée) et ne peuvent donc de fait satisfaire le critère imposé.

Nul doute que les agriculteurs souscriraient certainement plus facilement à une assurance qui compense les sinistres climatiques de faible à moyenne amplitude. Une piste de réflexion que devraient envisager les assureurs afin de trouver un modèle de couverture proche de celui des assurances grêle. En effet, pour ce type de contrat, les capitaux garantis - tout en restant cohérents - sont choisis par l’agriculteur et la franchise est de l’ordre de 5 ou 10 % et ce à la parcelle, et non par groupe de culture ou par exploitation avec des taux bien plus élevés comme cela est le cas pour l’assurance multirisque (MRC). Une différence majeure puisqu’elle assure un meilleur remboursement en évitant la dilution des pertes.

> Frein n°2 : les exclusions de garantie

De nombreuses exclusions de garantie émaillent significativement les conditions générales de l’assurance récolte en ne couvrant pas plusieurs événements à cause de la trop forte probabilité qu’ils se produisent. Cela concerne : - les pertes de qualité (sauf exceptions) ; - les pertes de rendement causées par excès d’eau en zones habituellement inondables - les pertes de rendement causées par les maladies et/ou ravageurs, même s’ils sont consécutifs à l’aléa climatique garanti ; - l’inefficacité des applications phytosanitaires ; - la verse physiologique de la culture.

Je souscris, et après ?

Ceux qui font l’effort de s’assurer malgré le coût élevé de l’assurance et les contraintes liées à l’indemnisation, ne sont pas au bout de leurs peines. Une fois le sinistre déclaré, un expert doit encore estimer la perte prévisionnelle de récolte et ce, au risque que la perte constatée après récolte soit supérieure (l’estimation avant récolte faisant foi). Un recours permet de demander à l’expert de revenir et de laisser quelques bandes témoin, mais le choix est laissé sa discrétion.

Méthode plus douteuse : certains assureurs évinceraient les « petits dossiers » en calculant une perte de récolte inférieure au seuil. En témoigne l’exemple d’un agriculteur du Loiret, auquel il manquait 2 quintaux d’orge d’hiver pour atteindre le seuil. Après avoir contacté son assureur, celui-ci a finalement accepté de rectifier le calcul en sa faveur… Même en cas d’acceptation du dossier, il est donc conseillé aux agriculteurs de recalculer eux-mêmes leur indemnité. Sait-on jamais, une « erreur » de calcul, en défaveur de l’assuré bien évidemment, est vite arrivée !

Enfin, attention au retour de bâton lorsque les assureurs déploient un plan d’envergure : rien n’est jamais gratuit ! Pour exemple, dans le Loiret, pour 5 millions d’euros de cotisations d’assurance (grêle comprise), Groupama a annoncé qu’il versera 20 millions d’euros d’indemnités, soit un ratio sinistre/prime de 400 % : du jamais vu ! Une bonne nouvelle si ce ratio « sinistre à prime » n’était pas aussi la clé de décision des assureurs. Ainsi, un sinistre important en année N se traduira inévitablement par une hausse significative des primes d’assurance en N+1.

Portrait peu glorieux donc pour l’assurance multirisque qui semble proposer aux agriculteurs bien plus de contraintes que de bénéfices. Cela s'explique certainement par le faible taux de réassurance : de l’ordre de seulement 20 % pour Groupama (qui devra donc digérer seul la facture… ou « mieux » : la faire digérer à ses clients !). Bien que le nouveau « contrat socle » soit présenté comme plus attractif il ne fait pas l’unanimité ! L’objet d’une assurance étant d’apporter un remboursement adapté au sinistre, toute réduction du montant du règlement avec quelque artifice que ce soit (franchise, base réduite par la considération des intrants au lieu de la production…) n’aura comme effet que de confirmer son inadaptation.

2020-2025 : LA PAC AMERICANA !

Les discussions sur la prochaine PAC se sont ouvertes sous le signe de l’assurance ! Ainsi, pour passer outre son manque d’attractivité, l’assurance (risques climatiques mais aussi économiques) pourrait bientôt être rendue obligatoire pour les agriculteurs, avec la prochaine programmation PAC 2020-2025.

La France et d’autres États membres poussent fortement en ce sens pour responsabiliser individuellement les agriculteurs et supprimer ainsi la réserve de crise de la PAC. Pour y parvenir, le nouveau Farm Bill (politique agricole américaine) est pris pour modèle ! Plutôt surprenant comme choix quand on sait qu’il s’agit d’un retour à une politique interventionniste qui met les États-Unis en contradiction avec les orientations et la philosophie de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), si chères à Bruxelles ! Mais comme plus rien ne nous étonne vraiment en matière de PAC, prenons quand même le temps de nous intéresser à ce qui pourrait potentiellement devenir notre modèle agricole…

Explications…

Pour 2014-2018, les Américains ont conservé le filet de sécurité minimal à la charge de l’État avec : un prix plancher pour le blé de 110 $/t (soit 97 €/t) et le versement aux producteurs de paiements compensatoires dans le cas où le prix de marché tomberait en deçà. Mais surtout, des dispositifs complémentaires sont proposés : > le Price Loss Coverage Program (PLC), qui couvre les pertes de prix avec des prix de référence réévalués (pour le blé : 217 $/t, soit 192 €/t). En considérant un coût de production moyen pour le blé de 150 €/t aux USA, on constate que la rémunération des agriculteurs choisissant cette option est constamment assurée. > l’Agriculture Risk Coverage Program (ARC), garantie fédérale sur une partie du chiffre d’affaires, en prenant soit la référence du comté, soit la référence individuelle de l’agriculteur.

Par ailleurs, le Farm Bill renforce l’assurance agricole, dont les primes sont subventionnées à 60 % en moyenne. Les assurances couvrent en général 75 % de la récolte ou du chiffre d’affaires mais les plus chères en couvrent la totalité.

Tout cela démontre à quel point les États-Unis ont une approche pragmatique de leur politique agricole : le filet de sécurité renforcé garantit un prix supérieur au coût de production et, plus le prix de marché est bas, plus les agriculteurs sont compensés, et ce sans limite puisque les dépenses du département de l’agriculture (USDA) ne sont pas plafonnées. Un tel système suppose un budget extensible, les années où les prix chutent, l’Etat fédéral venant compenser les pertes. Il faut aussi une forte volonté politique !

Un schéma difficilement transposable à notre vieille Europe, au budget agricole fixe, sans aucun report d’une année sur l’autre et dont le fonctionnement ne permet pas d’adapter le niveau des aides PAC en fonction de la conjoncture économique, à moins de faire évoluer sensiblement les règles de fonctionnement du budget européen.

MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE GUÉRIR !

Finalement, pour garantir les agriculteurs contre les risques de toute nature, rien ne vaudra jamais une politique agricole basée sur des prix rémunérateurs, l’agriculteur dégageant un revenu suffisant pour constituer lui-même son épargne de précaution, mobilisable les années de vache maigre.

Si l’UE peut prendre exemple sur la détermination américaine à rompre avec les règles de l’OMC, en supprimant les aides directes mal perçues par la société et dont les agriculteurs n’ont jamais voulu, elle devra s’abstenir de prendre le virage du tout assurantiel. Mieux vaut traiter le mal à la racine et ce mal s’appelle la dérégulation.

Interview : Nicolas Jaquet, président de l’OPG

L’UE doit-elle s’inspirer du Farm Bill américain ?

Bruxelles s’est toujours contentée de copier les Américains, avec 10 ans de retard, quand eux avaient déjà tourné la page pour un autre système de politique agricole. L’Europe doit trouver la politique qui convient le mieux à ses agriculteurs et celle-ci ne doit pas être axée sur la vocation exportatrice comme l'est celle des USA.

Mais l’UE est pourtant excédentaire en blé, non ?

En fait, elle n’est pas globalement autosuffisante : son déficit en protéines végétales qui se traduit par d'énormes importations de tourteau de soja est largement supérieur à son excédent de céréales. Et si elle exporte 30 Mt de blé chaque année, elle importe aussi 15 Mt de maïs, une céréale prenant la place de l’autre. L’exportation de blé est un leurre pour flatter les paysans et leur payer moins cher leurs récoltes.

Sur 5 hectares de blé européen, la production d’un hectare est exportée. Ces 5 hectares reçoivent au total environ 1000 euros de DPU pour exporter à peine 6 tonnes de blé, soit 166 € d’aides par tonne exportée, soit l’équivalent du prix de vente aux pays tiers. La dépense en argent public est identique à la rentrée de devises. Cette politique de Shadocks finance en premier lieu les marchands de grains européens.

L’assurance est-elle la solution ?

Le système assurantiel proposé actuellement est une véritable arnaque. Il ne doit pas devenir obligatoire et il ne saurait monopoliser une part plus importante des aides PAC qu’il ne le fait déjà. De nombreux syndicalistes agricoles sont également administrateurs de compagnies d’assurance : faiblesse humaine et conflits d’intérêts sont à l’origine de ces erreurs.

Quelle PAC faut-il pour 2020-2025 ?

Des prix, pas des primes ! L’UE, plutôt que de financer très cher une PAC mondialisée, en plein échec et dont les objectifs deviennent inatteignables, doit en priorité sécuriser son approvisionnement alimentaire en protégeant ses agriculteurs et ses frontières par des droits de douane adéquats.

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