La Commission européenne a publié le 4 septembre le fruit du travail du dialogue stratégique (DS) sur l’avenir de l’agriculture de l’UE, lancé en janvier 2024 et réunissant 29 parties prenantes des secteurs agroalimentaires, de la société civile, des communautés rurales et du monde universitaire.
La Coordination Rurale (CR) partage certains principes politiques directeurs qui ont émergé, et espère qu’ils guideront les futures innovations législatives de la Commission européenne. Et si les remarques portées sur la durabilité et la compétitivité dans la politique commerciale sont intéressantes, la CR s’étonne de certaines recommandations, quand certaines suscitent même une forte inquiétude, s’agissant notamment de la PAC et de l’élevage.
En effet, la CR n’est pas opposée à un meilleur ciblage des aides. Mais défendant une PAC basée sur des prix rémunérateurs, la CR s’inquiète d’un bouleversement de la base des soutiens agricoles, sans préalablement régler les problématiques des prix agricoles, de la régulation des productions, ou celles des importations déloyales.

PRINCIPES POLITIQUES DIRECTEURS

La CR partage le fait que « l’heure du changement a sonné ».
Elle estime qu’alors, si « la coopération et le dialogue tout au long de la chaîne de valeur alimentaire sont essentiels », ils devraient avoir pour objectif principal d’aboutir à un meilleur partage de la valeur…
La CR espère que le principe fixant le rôle stratégique de la production alimentaire sera suivi d’effets perceptibles et bénéfiques sur le terrain, et que « l’atout important » que constitue «  la diversité des systèmes alimentaires et agricoles européens » ne continuera pas d’être sabordé par des importations déloyales.

 

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

 

Renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur alimentaire

La CR se félicite que le DS reconnaisse que l’agriculture doit continuer de produire des produits agricoles en quantité et en qualité (dans les limites planétaires est-il précisé), et qu’une économie de marché responsable nécessite des ajustements de la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur.
Que cela soit nécessaire, la CR en est convaincue. Mais les pistes avancées semblent assez légères, ces pistes donnant l’impression que le salut viendra de l’économie d’échelle.
Améliorer le pouvoir de négociation est indispensable, à condition que les OP et AOP soient transversales. Mais avec des matières périssables comme le lait, le temps ne joue pas en faveur d’un rapport de force.
Il est noté que « les agriculteurs et leurs coopératives et/ou associations devraient recevoir un soutien ciblé de l’Union européenne pour des programmes spécifiques améliorant la durabilité. »
La CR estime que pour leurs efforts, les agriculteurs devraient être rémunérés sur le prix de vente.
Enfin, la CR craint que ces financements s’orientent vers des investissements non-productifs qui au final enchérissent les coûts de production. Aussi, les programmes opérationnels ne concernent qu’un nombre restreint d’agriculteurs et apparaissent donc inéquitables.

 

Élaborer une politique agricole commune (PAC) adaptée à sa finalité

Cette partie est très surprenante, dès son titre. Il est question de la finalité de la PAC, sans que l’on trouve de référence à l’article 39 TFUE.
Des objectifs centraux sont présentés, « ces » et non « ses », puisqu’ils sont bien différents de ceux fixés à sa création, et intègrent en plus le processus d’élargissement de l’UE, dont on sait qu’avec l’Ukraine, le principe des aides surfaciques est compromis.
Par rapport à ses buts historiques, la PAC tourne le dos aux 4 premiers (niveau de vie équitable à la population agricole, accroissement de la productivité, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture, stabilisation des marchés, sécurité des approvisionnements.
Seule la nourriture abordable semble être une réelle préoccupation.
Comment envisager un tel bouleversement dans la base des soutiens agricoles de la PAC sans avoir réglé la question du prix payé à l’agriculteur pour les denrées agricoles ?
Car à moins que le budget de la PAC n’augmente, on se dirige (encore) vers une baisse des soutiens découplés et couplés au profit de mesures agro-environnementales.
Le ciblage des aides est intéressant, mais encore une fois, comment envisager de bouleverser les soutiens sans régler la question des prix et du revenu ?
Car un plus grand ciblage implique de choisir un mode de versement différent de celui à l’hectare, notamment les DPB et le paiement redistributif (qui est une forme de ciblage tout de même).
L’Inrae a rappelé le poids élevé des aides de la PAC, et si celui-ci est variable en fonction de l’ orientation technico-économique et de la performance de l’exploitation, sur la période 2020 à 2022, les aides de la PAC ont ainsi représenté seulement 22 % du RCAI en maraîchage, secteur peu soutenu, mais 65 % en élevage de bovins lait, 78 % en céréales et oléo-protéagineux, et jusqu’à 210 % en élevage de bovins viande.

 

Promouvoir la durabilité et la compétitivité dans la politique commerciale

On ne peut que souscrire à cette intention, mais elle aurait pu être plus explicite et aller plus loin, pour une véritable réciprocité avec des clauses miroirs et des clauses de sauvegarde.
L’accent est encore une fois mis sur la production dans l’UE et l’exportation de phytos dont l’usage y est interdit, vers des pays tiers. A part tirer une balle dans le pied des opérateurs économiques de l’UE, cela ne sert à rien. Les activités seront délocalisées, ou pire, reprises par des concurrents extra-UE.
En revanche, rien sur l’importation de denrées en provenance de pays qui font usage de produits interdits en Europe. C’est de la concurrence déloyale, mais les nécessités du commerce mondial doivent encore certainement justifier ces tolérances…
L’Ukraine est un exemple flagrant. Il existe bien des mécanismes, mais la période de comparaison n’est pas pertinente, ce qui de toute façon, entraîne des déséquilibres dans l’UE.

 

Faire en sorte que le choix facile soit celui qui est sain et durable

La CR dénonce cette nouvelle charge contre l’élevage.
Le véritable problème réside plutôt dans l’adéquation entre la production et la consommation. La France est dépendante de certaines importations parce que le type de denrées produites n’est pas celui qui y est consommé (poulet de chair du dimanche vs filets nuggets).
Mais veut-on se donner les moyens et accepter les moyens de production de ce que les consommateurs achètent ?
Il est attendu de la Commission et des États membres qu’ils créent « des environnements alimentaires favorables où des régimes alimentaires équilibrés et durables soient disponibles, accessibles, abordables et attrayants ».
C’est souhaitable, mais c’est également la quadrature du cercle : produire (encore) mieux, en étant soumis à une concurrence mondiale, avec moins d’aides financières, à pas cher. Est-ce atteignable ? À moins que l’alimentation ne soit importée… ?

Le sain et durable a un coût, et mérite donc un prix en relation avec la qualité.
C’est bien la question du consentement à payer du citoyen qui est posée, tout comme celle des capacités financières des consommateurs.
Le DS recommande de mettre en place des mesures fiscales (dont TVA réduite) sur les produits les plus durables, encore faut-il que l’État membre soit en capacité financière de le faire…

Sur la révision des marchés publics, le DS est timide, en ne proposant qu’une nouvelle approche « meilleur rapport qualité-prix ». A moins que cela puisse être interprété par : j’estime que les produits de mon pays sont ceux qui ont le meilleur rapport qualité prix… Mais cela contreviendrait certainement à la libre circulation des marchandises.

 

Soutenir des pratiques agricoles durables

Entre aller vers plus d’efficience (ce qui est souhaitable) grâce au progrès, aux expérimentations et à la recherche, et atteindre des objectifs de baisse politiques sans se soucier des conséquences, il y a un gouffre.
La CR rejette toute suppression de molécule sans alternatives viables et fiables.
Concernant la production biologique, elle doit être soutenue pendant la période de conversion. Mais le développement du bio doit se faire de manière réfléchie, en réponse à un marché et des débouchés, et non pour atteindre des objectifs surfaciques politiquement porteurs, mais aux conséquences économiques mortifères.
En revanche, la CR salue la recommandation de financer les mesures de restauration de la nature hors budget PAC.

 

Réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’agriculture

Concernant les réductions des GES, il est bien question dans le rapport d’objectifs ambitieux adaptés à chaque type d’agriculture. Mais ces objectifs sont-ils assortis d’évaluations des conséquences économiques, ainsi que de mesures de protection vis à vis d’importations moins disantes ?
Est-il pertinent de fixer des objectifs de baisse de cheptel en Europe et continuer de financer l’élevage hors de l’UE par les importations de compensation ? Cette approche néglige totalement le rôle structurant de l’élevage et de la captation carbone des praires.

 

Créer des voies pour l’élevage durable dans l’UE

La révision et/ou l’application de la législation relative au BEA ne doit pas s’entendre qu’à l’échelle UE, mais couvrir les produits importés. A ce jour, force est de constater que les standards européens actuels sont largement supérieurs à ceux appliqués dans de nombreux pays partenaires. La CR estime qu’à ce stade, il n’est pas pertinent de réviser la législation. De plus, la CR est opposée à la mise en place d’un label BEA, car d’une part la législation actuelle assure une bonne prise en compte du BEA ce qui induit que le lieu de production suffit. D’autre part, un système de notation du BEA n’apporte pas une information claire aux consommateurs car un critère pourrait en compenser un autre. Il apparaît plus cohérent de normaliser les différentes allégations commerciales existantes.

 

Promouvoir une gestion solide des risques et des crises

La réduction des dépendances peut s’entendre de 2 manières… :
• se donner les moyens de produire les intrants ;
• mettre en place des politiques « incitant » ou obligeant les agriculteurs à réduire l’utilisation de produits dont l’approvisionnement est problématique.
Espérons qu’il n’est alors pas question de dire aux agriculteurs comment se passer d’intrants dont ils ont besoin…
L’assurance récolte semble être une piste privilégiée. La CR rappelle qu’hors risques catastrophiques, les agriculteurs, s’ils étaient correctement rémunérés, pourraient gérer eux-mêmes les risques courants, sans assurances peu efficaces et coûteuses.
Il apparaît pour la CR que les systèmes de gestion de crise en UE sont défaillants alors que les crises sanitaires se multiplient. Ils sont défaillants par le manque d’harmonisation entre États Membres et par le manque d’anticipation. Le cadre actuel impose divers niveaux décisionnels qui n’offre pas de réactivité et de visibilité. La CR milite entre autre pour la création d’une banque d’antigène et la création d’une véritable réserve de crise activable selon des règles claires et partagées.

 

Développer un secteur attrayant et diversifié

Pour la CR, afin de stimuler l’attractivité du métier, il est primordial d’assurer un niveau de revenu décent, atteint grâce à la vente des produits et non par des soutiens financiers ; c’est vers cela qu’il faut tendre.
La vitalité et l’attractivité des zones rurales sont à renforcer. Mais sans avoir apporté de solutions pérennes aux problématiques de prix, de régulation et de protection, cela ne doit pas se faire grâce à un transfert plus important du 1er pilier de la PAC vers le 2e…

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