L’échéance du 31 janvier 2020 marque désormais la sortie des britanniques des rangs de l’Europe. Le feuilleton du Brexit touche ainsi à sa fin. Il aura duré quatre ans. Néanmoins, les enjeux agricoles continueront à occuper une place importante dans les négociations à l’issue de cette sortie. En effet, le Royaume-Uni se heurte à un problème de sécurité alimentaire. Il s’agit du premier pays européen importateur de produits agricoles et alimentaires. Il importe 30 % de biens agricoles et agro-alimentaires des autres états membres et 11 % depuis des pays tiers via les accords de libre-échange négociés par l’Union européenne. Le rétablissement des barrières tarifaires (droits de douane, etc.) et non tarifaires (normes sanitaires, etc.) avec ses voisins européens pourrait avoir un poids économique et logistique susceptible d'affecter sérieusement l’accès à une alimentation de qualité pour les citoyens britanniques.

Dans tous les cas, à compter du 31 janvier 2020, une période de transition de 21 mois s’ouvrira. Le droit douanier de l'Union européenne cessera de s’appliquer au 1er janvier 2021.

À ce moment-là, deux options s'offriront à nous : - soit la France recrutera de nouveaux inspecteurs au ministère de l’Agriculture, douaniers et policiers aux frontières afin d’effectuer des contrôles sanitaires à l’import, et d’émettre des certificats sanitaires pour l’export ; - soit, en cas de no deal, ce sera pour l’Europe un débouché « marché unique » qui se ferme. La France perdrait son troisième client pour ses exportations, notamment de viande porcine, pomme de terres réfrigérées et transformées, produits laitiers, vins, céréales, alimentation animale, volaille et fruits.

Cependant, pour certaines filières, un no deal pourrait alléger le poids de la concurrence exercée par les productions britanniques.

Opportunités et menaces: décryptage par filières

Brexit et filière laitière

État des lieux

Le Royaume-Uni est le deuxième importateur de produits laitiers au sein de l’Union européenne. Le pays est structurellement déficitaire. En 2018, cela représentait un déficit de 1,8 milliards d’euros (-2,2 milliards avec l’UE et +0,4 milliard avec le reste du monde). Il importe donc environ 5 milliards de litres équivalents lait, soit l'équivalent du tiers de la collecte du pays ! Les échanges entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sont très importants économiquement : 99 % des importations proviennent de l’UE et 76 % des exportations sont destinées. Le marché britannique représente entre 7 et 10 % des exports français (en eq. lait).

De forts enjeux pour la filière laitière française

Pour la France, le Brexit représente un enjeu direct de 730 millions de litres équivalent lait (3 % de la collecte) pour 600 millions d’euros sur la base des exportations actuelles (soit autant que les exportations vers la Chine) ou encore de 16 % de l’excédent commercial laitier français. Le Brexit représente également pour l’Hexagone un enjeu indirect, lié au déséquilibre potentiellement généré sur le marché communautaire. Celui-ci porte sur l’ensemble des exportations des États membres vers le Royaume-Uni, soit 5 milliards de litres équivalent lait (3,5 % de la collecte de l’Union européenne hors Royaume-Uni) pour 3,7 milliards d’euros. Cela représente 2,5 fois le volume de produits laitiers concernés par l’embargo russe et 3 fois leur valeur.

Même en cas de Brexit dur, les conditions ne seront pas celles d'un embargo. Partant, les flux de l’Union européenne vers le Royaume-Uni ne seront pas à proprement parler bloqués. Pour autant, ils seront marqués par une hausse des délais et des coûts logistiques et administratifs d'exportation et de commercialisation. Est encore envisageable une nouvelle dévaluation de la livre qui abaisserait le pouvoir d'achat britannique en produits UE. Pourrait également intervenir une nouvelle stratégie des importateurs britanniques de diversification de leurs fournisseurs, notamment via leurs accords Commonwealth. Ces trois éléments réduiraient à n'en pas douter les flux. Ceci imposerait une réorientation vers d'autres marchés avec un impact inévitable à court terme : la hausse des disponibilités laitières sur le marché communautaire à 27 et donc une pression sur les prix des produits laitiers.

Brexit et filière ovin viande

La France est le premier client du Royaume-Uni pour les exportations de viande ovine : plus de 40 % de la viande ovine exportée par le Royaume-Uni est à destination du marché français. En moyenne sur 2016-2018, la part de la France dans les envois britanniques était de 47 %.

Importations françaises de viande ovine

Le Royaume-Uni est le premier fournisseur de la France en viande ovine. En 2018, la France en a importé 91 000 tonnes équivalent-carcasse (tec), dont 40 % en provenance du Royaume-Uni (36 700 tec). En moyenne sur 2016-2018, cette part était de 42 %. Environ un quart de la viande ovine consommée en France provient ainsi du Royaume-Uni.

Risques pour la filière viande ovine françaises

• déconsolidation des contingents tarifaires Le Royaume-Uni absorbe plus de 40 % des envois néo-zélandais et plus de 60 % des envois australiens de viande ovine vers l’Union européenne à 28. Il apparaît par conséquent indispensable de partager les contingents tarifaires (en particulier ceux attribués à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie) entre l’UE à 27 et le Royaume-Uni lors de sa sortie, sur une base historique. Le but : éviter une très forte hausse de l’accès néo-zélandais et australien au marché européen. L’afflux de viande ovine qui en résulterait sur le marché européen pourrait mettre en péril les filières européennes.

• Encadrement des échanges entre le Royaume-Uni et le reste de l’UE à 27

• Si accord « Brexit » contraignant avec rétablissement de droits de douane élevés La mise en place de droits de douane élevés entre le Royaume-Uni et l’UE à 27 pourrait représenter une opportunité pour la production ovine française en limitant la concurrence exercée par la production britannique. Toutefois, cela pénaliserait également fortement la consommation française de viande ovine. Les répercussions seraient potentiellement conséquentes à terme sur la production : accélération de la baisse de la consommation liée à la moindre présence en rayon de la viande ovine, opérateurs français mis à mal, etc.

• Si accord « Brexit » plus souple sans droits de douane élevés Un accord plus souple permettrait de maintenir les flux de viande ovine britannique vers la France. Toutefois, une trop grande ouverture du marché présenterait également des menaces pour la filière française. Le risque majeur serait alors un « effet domino ». Dans ce cas de figure, le Royaume-Uni importerait davantage de viande ovine en provenance d’Océanie pour assurer sa propre consommation, et il pourrait alors exporter davantage de sa production, notamment vers la France. Le marché ne pourrait s'en trouver que davantage déstabilisé. Ce cas de figure serait d'autant plus probable que des accords de libre-échange Royaume-Uni/Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni/Australie auraient été signés.

La création d’un contingent européen d’importation de viande ovine spécifique au Royaume-Uni pourrait limiter ce phénomène. Il devra être basé sur les flux historiques plutôt que sur les flux d'une seule année.

• Négociations pour des accords de libre-échange UE/Nouvelle-Zélande et UE/Australie L’issue des négociations avec le Royaume-Uni déterminera certainement les termes de négociations des traités de libre-échange avec l’Océanie (Nouvelle-Zélande et Australie) entamées par l’Union européenne.

Brexit et filière bovin viande

Brexit avec accord

Le Royaume-Uni est un grand importateur et possède une autosuffisance en viande bovine estimée à 75 %. Ses importations proviennent surtout de l’Irlande (70 % des importations - en 2018, importations de 290 000 t soit 1,3 milliards $) mais aussi de l’Union européenne. Ses exportations ont représenté en 2018 110 000 t (pour une valeur de 500 millions $). La France est le 3e marché pour les exportations de viande depuis le Royaume-Uni, et le 7e fournisseur.

Brexit sans accord

En cas de Brexit sans accord, l’application des tarifs OMC reste la meilleure solution pour les éleveurs anglais (forteresse Royaume-Uni).

Brexit et filière porcine

Le Royaume-Uni importe un peu plus de 50 % de sa consommation. Cela représente plus d’un million de tonnes équivalent-carcasse (tec). Dans le même temps, elle exporte 200 000 tec. La France n’arrive qu’au en 7e rang parmi les fournisseurs avec 6 %. Depuis plusieurs années, la part française diminue. Le Royaume-Uni est le 5e partenaire commercial de la France mais le 3e en Europe, après l’Italie et la Belgique. Les exportations portent principalement sur de la viande fraîche désossée et de la viande désossée congelée (environ 10 000 tonnes), des poitrines avec os et du jambon. Le risque du Brexit réside dans la possibilité que d’autres fournisseurs mondiaux gagnent des parts de marché au Royaume-Uni et que ses actuels partenaires européens engorgent le marché européen. Toutefois, la Chine, où sévit toujours la peste porcine africaine (PPA), va continuer d’importer massivement et ainsi faire maintenir les cours à un haut niveau.

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