À l’occasion du 29e Congrès de la Coordination Rurale, Sophie Michaux et Gilles Keller, chargés d’études de la CR, ont animé une table ronde ayant pour thème « Inflation des coûts de production : comment assurer une alimentation satisfaisante à tous les consommateurs ? ».
Pascale Hébel, spécialiste de l’analyse de la société de consommation et de son anticipation, Pierre Rebeyrol, chef du bureau Commerce et Relations commerciales à la DGCCRF, Frank Olivier, céréalier bio en Charente (16) et Véronique Guérin, éleveuse de caprins dans la Vienne (86) sont intervenus pour délivrer leur expertise.
Les impacts de l’inflation : quelles conséquences pour les agriculteurs et quels choix s’offrent à eux ?
Véronique Guérin a ouvert le débat en faisant le point sur les augmentations de charges dans les postes énergie et alimentation du secteur caprin (+ 30 % par rapport à 2020), et leur impact sur les contrats des éleveurs. Cette inflation est partiellement compensée par des prix en augmentation (+ 16 %), mais qui ne suivent pas la même courbe que les intrants. En agriculture biologique, les constats sont les mêmes malgré une moins forte dépendance aux produits phytosanitaires. Cependant pour les céréales, les prix qui étaient hauts en 2022 (500 €/T) ont commencé à diminuer (- 100 €/T) et il est donc impossible de reporter les hausses de charges sur le prix des denrées. Pour Frank Olivier, « l’inquiétude du monde agricole est immense ».
Comment se traduit cette inflation pour les consommateurs ? Comment l’État cadre l’évolution des prix ?
Pascale Hébel, spécialiste de l’analyse de la société de consommation et de son anticipation, a fait un constat sans appel : en 2022, 2/3 des Français ne mangent plus ce qu’ils veulent (contre la moitié après la crise du Covid). Les consommateurs vont vers une moindre consommation, que ce soit en gaspillant moins, en achetant moins cher ou en excluant certains produits tels que les produits sucrés, l’alcool, mais aussi les produits animaux (viande, fromage, poisson). Les conséquences sur les achats en GMS (Grandes et moyennes surfaces) se font ressentir, mais pour éviter toute distorsion de concurrence, l’État, par le biais de la DGCCRF (Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes), « veille au grain ». « Nous mettons en place des protocoles de contrôle qui aboutissent parfois à de lourdes amendes pour les transformateurs et les distributeurs » a expliqué Pierre Rebeyrol, chef du pôle négociations commerciales à la DGCCRF.
La saturation du marché bio
Parmi ces produits que les consommateurs disent « souhaiter consommer, mais ne le peuvent pas », Pascale Hébel met notamment en avant les produits bios. Lorsque les budgets sont restreints les produits bios font l’objet d’arbitrages, avec des produits similaires locaux ou simplement moins chers. Quand bien même les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir consommer des produits sains et avec un impact écologique limité, cette volonté n’est pas nécessairement reflétée de manière effective dans les paniers.
Cette différence entre ce que le consommateur veut et peut consommer conduit à une situation où la production a rattrapé, puis dépassé la demande de produits bio, conduisant à un effondrement des prix payés aux producteurs. Frank Olivier rappelle que cette situation était prévisible, et que la seule solution est la maîtrise des volumes ; démarche dans laquelle il s’est déjà engagé, mais qui ne prendra sens qu’à condition qu’elle soit collective et organisée.
Le rôle d’EGAlim dans la mitigation de l’inflation : réel ou conjoncturel ?
La maîtrise des volumes est un des aspects que la mise en place de la loi EGAlim 2 pourrait à terme permettre, même si elle a surtout été mise en place pour assurer une transparence et des conditions générales de vente qui se veulent équitables pour tous les partis. « Mais la transparence est difficile à obtenir chez certains industriels » a concédé M. Rebeyrol. Par ailleurs, des blocages dans les négociations ont ralenti la mise en place de la loi. Les mécanismes de révision automatique des prix ont, eux aussi, rencontré des difficultés dans leur application et les pénalités logistiques fleurissent entre la transformation et la grande distribution.
Chez les éleveurs, la contractualisation peine à être mise en œuvre : pour la filière chevreau, les discussions continuent notamment sur les formules de révisions de prix et les seuils de valorisation. En lait, la contractualisation n’a pas attendu EGAlim. Véronique Guérin a évoqué l’organisation de producteurs à laquelle elle appartient : « cela fait 5 ans que nous travaillons sur le sujet, les contrats sont prêts à être validés par la laiterie ».
La loi EGAlim 2, telle que rédigée, offre des dispositions dérogatoires, exploitées par les interprofessions des grandes cultures. Ainsi, les producteurs en grandes cultures ne disposent d’aucun moyen de répercuter leurs hausses de charges vers les coûts de production, comme le signalait Damien Brunelle, membre du Comité directeur et Président de France Grandes Cultures, lors des questions ouvertes.
Les agriculteurs français attendent toujours de savoir si cette loi, qui visait initialement à « améliorer la rémunération des agriculteurs », va se voir suivie d’un quelconque effet. Les agriculteurs de la CR se sont d’ailleurs questionnés sur l’applicabilité de la loi EGAlim 2 dans la mesure où il s’agit d’une loi franco-française qui doit être mise en œuvre dans un contexte réglementaire européen. D’après Pierre Rebeyrol, la législation européenne devrait évoluer dans ce sens dans les prochaines années.
À l’issue de cette table ronde, une chose est sure : pour la CR, la souveraineté alimentaire et la sortie de l’agriculture des accords de libre-échange internationaux constituent la seule véritable solution pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur métier, et cela prend d’autant plus de sens en ces périodes d’inflation et d’incertitudes économiques et géopolitiques qui rendent les marchés instables et volatiles. Des prix, pas des primes !