La lecture de la tribune du président de la Coopération agricole, Dominique Chargé, publiée le 27 avril dans le Figaro, et intitulée « Il est urgent d'ériger l'alimentation en grande cause du quinquennat », m’oblige à réagir.

Si je partage certains constats conjoncturels, comme la guerre en Ukraine, ou stratégiques comme la nécessité de relocaliser notre alimentation - encore que cette expression ne recouvre pas les mêmes contours que ma conviction d’une nécessaire souveraineté alimentaire – en revanche, je ne partage pas les causes ni les solutions.

Car s’il est urgent de relocaliser notre alimentation, il faut se poser la question de qui l’a délocalisée. Certainement pas les agriculteurs ! À l’exception de quelques aventuriers qui ont revendu leurs hectares en France pour en louer 10 fois plus dans quelques contrées de l’est de l’Europe. Les grosses multinationales coopératives, en revanche, ont multiplié les investissements hors de France, investissements venant concurrencer leurs adhérents français, mais permettant à celles-ci de diversifier les approvisionnements, les débouchés, et l’externalisation de la valeur ajoutée, si précieuse, mais dont les agriculteurs ne profitent que très rarement sur leur compte en banque. Cette délocalisation a permis de créer des coopératives monstres, dont les ambitions n’ont eu de cesse de grossir afin de leur donner une « masse critique et peser à l’international ».

Au produire plus pour faire tourner les filières et construire de grands champions nationaux qui vont aller conquérir le monde au nom de la vocation exportatrice, nous opposons le besoin en stocks stratégiques pour devenir un interlocuteur solide et souverain, et le besoin d’une organisation basée sur la régulation des volumes et des prix.

Pour construire ses champions, D. Chargé demande « une baisse des charges et des impôts » lesquels « affaiblissent notre compétitivité ». Il semble oublier que les coopératives bénéficient d’avantages fiscaux, même si elles se comportent comme des multinationales, loin de l’esprit précisément coopératif qui devrait les animer. Pour mériter ces avantages, le statut de coopérative agricole devrait être réservé aux seules structures qui respectent le principe « 1 Homme = 1 voix » en proposant des assemblées générales accessibles à leurs coopérateurs. Les agriculteurs font des efforts pour produire ce que veut la société, et demandent à être payés pour cela, sur le prix de vente de leur production !

« Il faut créer un fonds qui investirait dans la modernisation et le verdissement de l'outil productif », propose D. Chargé, mais financé par qui ? S’agit-il de réinventer le FEADER ? Les bénéfices externalisés des coopératives mastodontes pourraient servir à cela, au lieu de servir à créer des cascades de holdings au Luxembourg (ou ailleurs), réduisant le ruissellement revenant au producteur à un simple filet d’eau.

Produire mieux c'est, pour la Coordination Rurale, produire une offre qui réponde à la demande des citoyens européens, c’est pourquoi la CR propose, depuis sa création, une PAC alternative ! Il est nécessaire de s’organiser pour que les productions agricoles de l’Union européenne sortent de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) comme c’était le cas jusqu’en 1995 – afin de permettre aux Européens de se doter de la souveraineté alimentaire, au sens de ne pas dépendre des autres pour leurs choix et orientations agricoles.

Il est indispensable de protéger notre agriculture, de la sortir des règles du libre-échange international en mettant en place une exception agri-culturelle comme la France a osé le faire pour la culture. Ainsi les agriculteurs pourront enfin vivre dignement de leur travail, pour le plus grand bien de tous, y compris de leurs coopératives.

Bernard LANNES, Président national de la Coordination Rurale

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