Pour honorer la mémoire de nos soldats qui se sont battus au front, nous avons des jours dédiés à leur commémoration. Mais il n’existe aucune journée pour commémorer celles de l’ombre : ces agricultrices qui ont dû prendre la fourche pour remplacer leur mari. Pour la Coordination Rurale, nous pensons qu’il ne faut pas oublier que c'est précisément dans l'agriculture que les femmes ont été mobilisées dès le début de la guerre. Il y a aujourd’hui, comme hier, une reconnaissance nécessaire envers celles qui ont su faire tourner les exploitations pendant que les pères, frères, maris se trouvaient au front.

Pour quelle raison créer une journée de commémoration pour ces agricultrices ?

Sans les agricultrices, la France aurait pu compter un nombre considérable de morts lié à la famine, en plus des très nombreuses pertes humaines dues aux combats. Sans elles, qu’aurait mangé l’arrière du pays ? Pour nourrir le peuple, les femmes d’agriculteurs ont retroussé leurs manches pour effectuer le travail de leur mari en plus du leur. Et la plupart du temps, elles faisaient tout cela sans animaux, réquisitionnés pour la guerre et rarement remplacés par un âne. Négliger de les remercier est une erreur qui ne devrait plus avoir cours.

Ces femmes agricultrices ont offert bien plus

Nous ne devons pas oublier qu’à cette époque, les femmes en général, ont maintenu le pays à flot. Et que sans ce grand changement, les droits des femmes ne seraient sûrement pas ceux que nous connaissons aujourd’hui. C’est pour toutes ces raisons, qu’à la Coordination Rurale nous pensons qu’une journée pourrait être spécialement dédiée à ces nourricières pour honorer celles qui n’ont jamais été remerciées pour leur engagement pour la France. Cette démarche permettrait également de faire entendre la voix des agricultrices d’aujourd’hui afin de leur offrir un avenir plus clément, elles qui rencontrent parfois des injustices lors de leur parcours à l’installation.

« À la Coordination Rurale, nous pensons que cette reconnaissance des agricultrices pourrait créer des vocations dont nous avons tant besoin pour faire face à la pénurie des agriculteurs. Nous avons conscience que ce n’est pas LA solution mais que cela pourrait être UNE des solutions pour le renouveau des générations. », explique Natacha Guillemet, responsable de la section Agricultrices de la CR.

Une première évocation de cette volonté a été faite lors de l’audition réalisée au Sénat le 3 juin dernier par Natacha Guillemet.

Voici son intervention : « En introduction, vous avez mentionné des « prix de femmes » pour nous valoriser. Ayant travaillé dans l’éducation avant d’être agricultrice, cela me semble très important pour valoriser la condition des agricultrices, et faire évoluer les mentalités souvent empruntes d’un sexisme involontaire. À l’heure où nous nous interrogeons sur la situation des agricultrices et sur leurs besoins, je me pose une question. Les femmes ont tenu un rôle très important pendant les guerres. Vous l’avez évoqué. Si elles n’avaient alors pas le statut d’agricultrices à proprement dit – ce terme n’existe que depuis 1961 – elles ont tout de même nourri la France à l’appel de René Viviani, président du Conseil des ministres, le 2 août 1914. Elles n’avaient pas de fusils, mais leur courage, leur abnégation et les outils des champs leur ont servi d’armes. Ils leur ont permis de nourrir les soldats, les enfants, les vieillards, la France, afin qu’elle reste debout. Ces femmes ont fait partie des héroïnes cachées des grandes guerres. Y pensons-nous ? Leur rendons-nous hommage ? Non. Aussi, je propose un effort de mémoire qui pourrait se traduire lors des fêtes nationales des grandes guerres ou d’une journée qui leur serait dédiée. Cet effort de mémoire ferait également avancer le débat sur les agricultrices d’aujourd’hui, sur leur reconnaissance, sur leur statut. Ce serait également le moyen de bouleverser certaines mentalités quant aux préjugés sur leurs capacités. Beaucoup doutent en effet encore de nos aptitudes au métier d’exploitante agricole. Cet effort de mémoire pourrait également être développé dans les écoles. Il participerait à l’éducation des jeunes enfants. Si cette journée était présentée dans les écoles primaires, les collèges et les lycées, ses effets seraient doublés. Peut-être est-il temps de répondre à la promesse de René Viviani, qui assurait « il y aura demain de la gloire pour tout le monde. » Si je vous livre cette réflexion, c’est aussi pour changer les regards de certains hommes et de certaines femmes. Je vais m’avancer sur le foncier, qui fait partie des réalités agricoles. Pour participer à cette table ronde, j’ai téléphoné à un certain nombre d’agricultrices. J’ai réalisé que certains agriculteurs, ex-agriculteurs ou propriétaires ne souhaitaient pas donner la terre à des femmes. Dans leur esprit, ce n’est pas possible. À un moment donné, nous devons révolutionner les mentalités. Tout est cohérent. Si nous ne revoyons pas l’éducation, si nous ne posons pas un regard neuf sur l’histoire des femmes, nous n’aboutirons pas. Combien ont regardé ces images de femmes tirant des charrettes à la place des bœufs ou des chevaux, avec une femme dirigeant à l’arrière ? J’ai cette peinture en tête. Elle est très marquante quant à l’abnégation de ces femmes, à leur force physique et mentale. Elle nous prouve que les agricultrices sont légitimes à acquérir du foncier agricole. Pourtant, certains banquiers nous disent que cela n’est pas possible. Je noircis le tableau à dessein, bien que bon nombre d’agricultrices soient installées, aient obtenu des crédits et disposent de terres. Elles ne sont toutefois pas majoritaires. Elles subissent ces freins qui perdurent dans l’esprit masculin, de manière souvent involontaire. Ces préjugés sont profondément ancrés dans certains esprits. Pour accéder aux prêts, au foncier, je pense que nous devons révolutionner les idées. Si nous le faisons dès l’école primaire, nous pourrons faire évoluer les mentalités sur le rôle joué par ces femmes ».

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