La loi relative à la transition énergétique prévoit qu’un plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) doit être arrêté au plus tard le 30 juin 2016. Dans cette optique, un rapport préparatoire publié par le CITEPA et l’INERIS propose 50 mesures, dont 17 concernent l’agriculture. L’agriculture se retrouve dans le viseur car elle a le malheur d’émettre de l’ammoniac qui rencontre dans l’air de l’oxyde d’azote émis par les automobiles et l’industrie pour former des particules secondaires de nitrate d’ammonium. Dans un contexte de contentieux avec Bruxelles sur la pollution de l’air, les agriculteurs risquent de trinquer pour rien, car les particules fines incriminées sont en réalité sans danger pour la santé.

Au niveau national, l’agriculture émet la quasi-totalité des particules d’ammoniac.

Au printemps, les épandages d’engrais émettent des particules fines d’ammoniac, dites particules primaires, qui interagissent avec d’autres particules, l’oxyde d’azote, pour constituer des particules fines dites secondaires : nitrate, ammonium, nitrate d’ammonium. L’autre source d’émissions est l’élevage : bâtiments et épandages d’effluents organiques.

Tel quel, l'ammoniac lui-même ne présente aucune toxicité, sauf lorsqu'il est présent en trop grande quantité dans des espaces confinés tels que les bâtiments d'élevage. A l'air libre, la concentration est bien trop faible pour présenter le moindre danger sanitaire.

Les particules secondaires dérivant de l'ammoniac sont classées selon leur taille :
  • diamètre inférieur à 2,5 microns (Particulate Matter ou PM2.5) ;
  • diamètre inférieur à 10 microns (PM10), catégorie qui englobe la première.
Nitrate et ammonium relèvent à la fois des deux classes granulométriques PM10 et PM2.5.

La France, en contentieux avec Bruxelles sur la pollution de l’air

La directive européenne n°2001/81/CE, fixant des plafonds d'émission nationaux pour certains polluants atmosphériques, indique que la France ne doit pas dépasser 780 000 tonnes d'ammoniac (NH3) à partir de 2010. En 2013, les émissions de NH3 se sont élevées à 713 000 tonnes. Cette directive est donc respectée par la France.

En revanche, l'autre directive, n°2008/50/CE, concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, n'est pas respectée par la France, pour les PM10. Elle indique qu'il ne faut pas dépasser 35 jours à 50 microns par mètre cube d'air. Or, cette valeur limite journalière n’est pas respectée sur 33 sites en 2013, principalement des sites trafic, soit 5% des sites de surveillance du territoire. Les régions concernées sont : Ile-de-France, Rhône-Alpes, PACA, Martinique, Alsace et Picardie. La directive 2008/50/CE indique aussi qu'il ne faut pas dépasser 40 microns par mètre cube d'air à l'année. Or, deux sites dépassent en 2013 la valeur limite annuelle soit moins de 1% des sites. Un contentieux Bruxelles est donc en cours pour la directive 2008/50/CE, concernant les PM10. Mettre l'agriculture à contribution (au départ sur la base du volontariat, mais les contraintes ne tarderont pas à arriver), avec le futur PREPA, est un moyen efficace de satisfaire Bruxelles car au sein des PM10, les particules secondaires d'origine agricole sont très présentes, bien que non dangereuses pour la santé. Une réduction des émissions d'ammoniac entrainera une baisse de la concentration en PM10, une réduction du nombre de jours de dépassement, et tout le monde sera satisfait, sauf que les mesures proposées pour les agriculteurs sont coûteuses et que ces derniers sont en très grande difficulté économique.

Les 17 mesures proposées pour l’agriculture sont coûteuses et contraignantes !

L’une de ces mesures, l’incorporation immédiate de 80 % des lisiers et fumiers, permettrait d’éviter 38 jours de dépassement de concentration de PM10, via une diminution des émissions d’ammoniac (voir la critique faite par la CR sur les 17 mesures).

Mais si ces 17 mesures étaient simples à mettre en œuvre et bon marché, les agriculteurs les auraient bien sûr adoptées depuis longtemps.

Elles ne pourront être mises en œuvre que si la santé économique des exploitations agricoles le permet. Ainsi, l’économique doit précéder l’environnemental pour le rendre possible. C’est en soutenant le développement économique des agriculteurs que ces derniers pourront effectuer les investissements permettant de réduire leurs émissions.

Le nitrate et l’ammonium étant sans danger, les agriculteurs vont trinquer pour rien !

Selon l’OMS, toutes les particules de taille inférieure à 10 microns (PM10) seraient nocives pour la santé car elles pénètrent plus profondément dans les poumons que les particules de taille supérieure. Le 17 octobre 2013, le Centre International de la Recherche sur le Cancer (CIRC) a même classé les particules fines comme cancérigènes du groupe 1.

Mais est-ce la nature chimique des particules ou leur taille qui fait le danger sanitaire ? La littérature scientifique semble très partagée sur cette question. Il en ressort que le nitrate et l’ammonium, même au format PM2.5, seraient sans danger. L’incrimination des particules fines dans leur ensemble (dont le nitrate d’ammonium) laisse l'impression que ne sachant pas bien démêler la responsabilité de chaque molécule mais voyant le lien entre les PM2.5 et la santé, on englobe la famille entière, c'est-à-dire toutes les molécules de cette taille, sans chercher à aller plus loin ou sans en avoir la possibilité.

Le bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’INVS, en date du 8 janvier 2013, dans un article intitulé «Influence de la taille, la source et la composition chimique sur les effets sanitaires des particules», conclut que c’est bien la nature chimique de la particule qui fait le danger sanitaire et non sa taille :

« Il est difficile d’étudier la toxicité d’une classe granulométrique particulière, car elle n’est pas indépendante de la composition chimique ».

Les conclusions de son auteur, Frank Kelly, de l’Ecole Biomédicale de Londres (King’s College), prennent le contre-pied de la législation actuellement en vigueur :

« Alors que les normes, lignes directrices et stratégies existantes visant à réduire les PM sont basées sur la masse de particules dans l’atmosphère (qui comprend un mélange de particules de nombreuses sources), certaines observations suggèrent que la masse pourrait être insuffisante pour représenter les agents polluants en cause. Si l’on veut réduire de manière substantielle l’impact des PM sur la santé humaine, il est nécessaire d’identifier précisément les sources et les composants de ces polluants qui ont les effets les plus importants. Les combustibles fossiles sont la principale source de pollution particulaire dans le monde. Cette pollution semble être associée aux effets les plus délétères pour la santé. »

En ce qui concerne les ions inorganiques hydrosolubles, nitrates et sulfates :

« Relativement peu de données probantes impliquent les particules secondaires inorganiques dans des effets néfastes pour la santé. »

Pour finir, Frank Kelly passe en revue les défis que la recherche doit relever pour permettre le développement des normes de qualité et des mesures de contrôle de pollution de l’air plus pertinentes et mieux ciblées.

« L’objectif est de disposer de données qui conduisent à des politiques publiques, en matière de santé environnementale, efficaces dans le contrôle des composants/sources particulaires les plus nocifs pour la santé, afin de réduire de la façon la plus efficiente possible le poids des maladies dont ils sont la cause. »

A la lumière de ces considérations, la conclusion est on ne peut plus claire : le futur plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) s’attaque donc inutilement aux émissions agricoles d’ammoniac.

En conséquence, la Coordination Rurale demande que le PREPA à venir ne contienne pas de mesures agricoles.

Lire la contribution complète de la CR au rapport préparatoire du PREPA (cliquez ici)

Synthese de Frank Kelly sur les particules 11.10.00 - INERIS, suivi de la composition chimique journalière des PM2,5 et PM10 - agglo de Rouen Commentaires CR - rapport préparatoire PREPA

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