Crise du COVID-19 - Lettre ouverte au président de la République, Emmanuel Macron Demande urgente d'engagements concrets à l’égard des agriculteurs

Monsieur le Président,

Vous avez eu des paroles fortes ces derniers jours en annonçant que nous étions « en guerre », le Gouvernement précisant que la santé et l’alimentation étaient désormais les deux préoccupations majeures de nos concitoyens. Dans la foulée, le ministre de l’Agriculture saluait les agriculteurs, tout à coup devenus « maillon essentiel, le premier maillon de la chaîne alimentaire ».

Monsieur le Président, nos concitoyens et vous-même pouvez compter sur nous. Comme toujours les agriculteurs sont là pour accomplir leur devoir, celui de produire une nourriture saine et de qualité pour alimenter leurs concitoyens.

Depuis le début de la crise et malgré des conditions extrêmement difficiles (circuits de vente désorganisés ou même totalement à l’arrêt, approvisionnements chaotiques, arrêts de collectes, difficultés à trouver de la main-d’œuvre…), les producteurs s’organisent et font de leur mieux pour maintenir la production et trouver des alternatives pour commercialiser leur production.

Mais après quinze jours de confinement, soyons conscients des pertes. De nombreuses pertes. Certains agriculteurs déjà en situation fragile poursuivent l’effort mais ne se relèveront pas. D’autres craignent de produire pour rien et de relancer des productions sans aucune perspective de vente.

En élevage ovin, la période de Pâques s'annonce plus compliquée qu’à l’accoutumée. Nous souhaitons pouvoir compter sur l'appui des pouvoirs publics afin que 100 % de la viande ovine qui sera proposée soit d'origine française. Les abattages d'agneaux français ont accusé une chute de plus de 86 % sur la semaine 13 par rapport à la semaine précédente, et en parallèle, les importations de viande d'agneau de Nouvelle-Zélande augmentaient de 38 %...

La même problématique s’observe pour les fraises et les asperges. Actuellement, les asperges devant être récoltées cette semaine l’ont été mais elles seront perdues si elles ne sont pas écoulées la semaine prochaine. Et nous voyons pourtant des grandes et moyennes surfaces mettre en avant des asperges et des fraises importées… Aurez-vous le courage de faire respecter un approvisionnement 100 % français pour les fruits et légumes ?

Par ailleurs, l’interdiction indifférenciée des marchés n’arrange pas la situation, très (trop) peu de communes prenant le risque d’aller à l’encontre d’une directive gouvernementale très restrictive. Ces lieux de vente contribuent pourtant à un approvisionnement alimentaire de proximité et limitent les déplacements vers les grandes surfaces.

Concernant les élevages bovins laitiers, dans quelques secteurs géographiques, heureusement encore réduits, des laiteries ne parviennent plus à vendre leurs productions. Elles provoquent ou évoquent donc des arrêts de collecte. Il est impératif pourtant que le lait continue à être collecté.

La viticulture française, et plus généralement les produits dépendant de l’export, vont voir leurs ventes chuter fortement. Certains secteurs vont même perdre définitivement certains marchés.

Il est également à craindre que l’exportation de nos céréales crée des tensions sur notre marché intérieur.

Pour l’horticulture ornementale, la situation s’annonce dramatique. Selon les métiers, les pertes de chiffre d’affaires pour le mois de mars 2020 avoisinent 70 % à 80 % par rapport à mars 2019. Considérer l’horticulture et la pépinière ornementale comme des branches de l’agriculture permettrait d’autoriser la vente de leurs productions. Leur exclusion permettrait à l’inverse de les voir bénéficier de l’entièreté des mesures d’aide. Une clarification est donc indispensable.

Pour la filière apicole, les apiculteurs ont été autorisés à réaliser les déplacements nécessaires à la survie des colonies. Malgré ce geste, salué par nos adhérents, les apiculteurs constatent aussi des pertes de chiffre d'affaires de l’ordre de 70 % pour les semaines 12 et 13. Si la campagne actuelle de production n’est pas encore affectée, l’absence de débouchés pourrait entraîner nombre d’apiculteurs dans les abîmes.

Il ne faut pas oublier les centres équestres, totalement à l’arrêt, et pour qui les vacances de printemps sont d’ordinaire une période d’activité importante.

Cette liste est loin d’être exhaustive mais comme vous le voyez, le terrain ne ment pas : conditions de travail, vente des productions… les points de tensions et les motifs de grande anxiété sont aussi nombreux que légitimes.

Les agriculteurs ne pourront soutenir cet effort qu’avec des engagements forts, immédiats et sincères de votre part.

Nous saluons les mesures concrètes annoncées le mercredi 25 mars pour nos concitoyens soignants, en première ligne dans cette crise : primes, heures supplémentaires, revalorisation des carrières, plan d'investissement pour l'hôpital... Monsieur le Président de la République, vous vous êtes engagé à ne laisser personne sur le côté. Or, pour l’instant, nous ne pouvons malheureusement que constater l’insuffisance des mesures à l’égard des agriculteurs.

L’aide forfaitaire de 1 500 € du fonds de solidarité - telle que prévue dans le dernier projet de décret - ne correspond pas à la saisonnalité du travail de la profession agricole. Il faudrait encore justifier une perte de 70 % de chiffre d’affaires sur mars 2020 par rapport à mars 2019, ce qui est absurdement restrictif pour les agriculteurs.

Pour être éligible à l’aide complémentaire de 2 000 €, il faut être éligible au fonds de solidarité mentionné précédemment et employer au moins un salarié. Autrement dit, cette aide de crise ne concerne pas les agriculteurs non-employeurs.

Les agriculteurs ayant contractualisé ne pourront certainement pas se retourner contre des acheteurs ne retirant pas les marchandises, ces derniers pouvant invoquer le cas de force majeure et être exonérés de toute responsabilité en cas de non-respect de leurs engagements contractuels. Les garanties « perte d’exploitation » souscrites par certains agriculteurs pour la perte d’excédent brut d'exploitation risquent de ne pas pouvoir être mises en jeu, la mise en confinement nationale consécutive à une pandémie et les conséquences induites par celle-ci n’entrant pas a priori dans le champ des événements couverts.

La loi de finances rectificative se borne à prévoir une garantie d’État des prêts de trésorerie qui seront les bienvenus mais ne peuvent répondre qu’à un besoin immédiat. Comment ne pas regretter que cette garantie d’État soit inaccessible aux entreprises en difficulté, particulièrement celles en procédure de sauvegarde ou de redressement ?

Comme vous le voyez, bien qu’ils travaillent et répondent présents à votre appel, les agriculteurs sont inquiets et ont semble-t-il de quoi l’être. Nous attendons une reconnaissance de notre travail et de nos efforts qui ne peut pas se résumer en de simples mots glissés au fil d’un discours.

La Coordination Rurale vous demande de bien vouloir prendre des engagements forts. Des mesures à court terme doivent intervenir pour que les agriculteurs puissent rapidement bénéficier des premières aides annoncées et ce sans faire appel à l’enveloppe des minimis déjà employée ces derniers temps par de nombreux agriculteurs.

Votre intervention serait également souhaitable pour :

- reporter les déclarations PAC, comme le permet la Commission européenne ; rendre immédiatement obligatoire et effective la commercialisation des productions agricoles locales sur tout le territoire ; - exonérer le paiement des cotisations MSA pour l'année 2020 ; reporter ces cotisations ne ferait que reporter le problème. La MSA pourrait également annuler les poursuites judiciaires de l’année et apporter des solutions et de la souplesse durant les mois et les années à venir. - que les services des impôts, banques, assurances, fournisseurs d'énergie et autres organismes prélevant des redevances tels que les Agences de l’eau mettent en place une année blanche pour soulager rapidement les trésoreries agricoles. - concernant spécifiquement la TVA, exonérer pour cette année les agriculteurs du versement Casdar et du paiement du solde débiteur et accorder un délai de deux mois pour le dépôt des déclarations.

C’est de vos engagements d’aujourd'hui que dépendra notre alimentation de demain.

Monsieur Didier Guillaume annonçait en début d’année que la France souhaitait que l'Europe impose une « exception alimentaire et agricole » pour les futurs traités de libre-échange afin de sortir l’alimentation des guerres commerciales. Si une seule leçon devait être tirée de ce que nous vivons, ne devrait-elle pas être qu’à l’instar de l’exception culturelle, il est urgent de reprendre en main notre souveraineté alimentaire par la mise en place d’une exception agriculturelle justifiant de prendre les mesures adaptées.

Espérant une réponse rapide de votre part, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.

Bernard LANNES Président

 

Copie du présent courrier adressée à : - Monsieur Édouard Philippe, Premier ministre - Monsieur Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture

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