Le 1er avril a vu l’application d’un nouvel étalon de comptage pour les cellules somatiques du lait en France. Cet étalon, disponible depuis début 2020, a pour objectif de s’aligner sur le standard international et d’éviter la disparité des résultats. En effet, aucune réglementation officielle ne régit l’adoption d’un étalon universel, ce qui a conduit à la multiplication de ces derniers : il existe aujourd’hui 22 étalons différents dans le monde. Cela a donc permis des disparités de comptage entre les pays au sein même de l’Union européenne, en défaveur des producteurs de lait français ! Pendant des années, les éleveurs français ont donc été plus pénalisés que leurs homologues européens, alors même que la situation était connue des instances publiques et interprofessionnelles. La CR demande aujourd’hui des comptes.

Une différence de comptage allant jusqu’à 50 %

Pour un même échantillon de lait, des écarts importants sont constatés entre producteurs de pays différents, écarts en défaveur des producteurs de lait français. D’après une étude vétérinaire menée en 2017 sur le comptage cellulaire, une divergence de 30 % existe entre le comptage réalisé en France, et ceux réalisés dans les autres pays européens où des échantillons ont été envoyés (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni). L’Association Nationale Interprofessionnelle Caprine (ANICAP) a également procédé à une comparaison des méthodes d’analyse en mars dernier, sur 195 échantillons provenant de 5 bassins laitiers dans deux laboratoires. Il ressort que le calibrage des appareils avec l’ETG international aboutit à une baisse d’environ 20% par rapport au calibrage avec l’étalon utilisé en France.

Afin de confirmer ces chiffres, des éleveurs laitiers de la Coordination Rurale ont souhaité réaliser leurs propres analyses. Ils ont donc effectué un double échantillonnage de leur lait, issu d’un même tank, et en ont fait analyser un dans le laboratoire interprofessionnel français Labilait, localisé en Seine-Maritime et l’autre dans le laboratoire belge Comité du Lait, localisé en Wallonie. Les résultats obtenus confirment bien les chiffres annoncés par l’étude vétérinaire, avec les analyses du laboratoire belge comptant en moyenne 21% de cellules somatiques en moins par rapport au laboratoire français (détail ci-dessous, données exprimées en cellules/mL).

Les industriels grands gagnants de l’histoire

Cette divergence dans le comptage cellulaire est à l’origine de conséquences financières qui peuvent être importantes : les éleveurs français ont été plus défavorisés que leurs voisins européens par des pénalités financières liées à la qualité, des suspensions de collecte abusives voire même des réformes anticipées de vaches laitières. À titre d’exemple, la moyenne des pénalités en Ille-et-Vilaine liées à la présence de cellules somatiques dans le lait s’élevait à 2,75€/1 000L pendant la campagne laitière 2018/2019 (source Contrôle Laitier). Ces pénalités indues, directement perçues par les industriels laitiers, ont pu permettre à certains groupes de prospérer sur une injustice. Les montants des pénalités et/ou primes varient en fonction des laiteries. Cependant, par usage, les primes sont estimées à 1,5€/1 000L sous 250 000 cellules/mL, alors que les pénalités sont de l’ordre de -4€/1 000L entre 300 000 et 400 000 cellules/mL et de -17€/1 000L au-delà de 400 000 cellules/mL, avec un possible arrêt de collecte et l’obligation de mettre en place un protocole correctif.

Au sein de nos analyses, l’échantillon N°9 est particulièrement parlant. La livraison de cet éleveur présente une teneur en cellules somatiques supérieure à 400 000 cellules/mL (seuil réglementaire fixé par l’UE), alors que la teneur mesurée en Belgique est inférieure à ce seuil. Sur sa facture, il aurait eu une pénalité injustifiée de 13€/1 000L.

Des conséquences gravissimes pour certains éleveurs

Cette situation intolérable a donc pu participer à pousser certains éleveurs français, déjà très fragiles, dans une situation financière catastrophique avec des conséquences qui ont pu s’avérer gravissimes. Les éleveurs laitiers sont parmi les agriculteurs les moins bien rémunérés : 32 % d’entre eux envisagent à l’avenir de réduire ou d’arrêter la production laitière (enquête Cniel). D’après l’Institut de l’élevage, 36 % des élevages laitiers étaient endettés et sans trésorerie en 2019, et jusqu’à 54 % dans le bassin Grand Ouest, premier bassin laitier de France. Cela explique le recul constant du nombre d’éleveurs laitiers sur notre territoire : entre l’année 2000 et 2016, le nombre d’actifs non-salariés en élevage laitier a chuté de 43 %.

À cet effet, la CR a écrit au ministre de l’Agriculture ainsi qu’aux parlementaires français afin de réclamer la compensation financière des pénalités injustement facturées et des mesures sanitaires imposées sans fondement.

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