L’accord entré en vigueur de manière provisoire entre l’Union européenne et le Canada en septembre 2017 a été ratifié en première lecture par l’Assemblée nationale le 23 juillet dernier. En dehors du fait que les importations canadiennes de viande bovine seront préjudiciables pour les éleveurs français et européens, qu’en est-il exactement pour la filière laitière qui serait, selon nos parlementaires, « largement bénéficiaire » de la signature de cet accord ?

 

Une situation canadienne basée sur les besoins du marché et les coûts de production

La filière laitière canadienne est encore sous l’égide d’un système de gestion de l’offre fondée sur la planification de la production nationale, des prix réglementés et des contrôles à l’importation des produits laitiers. En termes de valeur des recettes monétaires agricoles, l’industrie laitière se classe au deuxième rang derrière le secteur de la viande rouge.

Le Canada se situe au 25e rang des clients pour les échanges de produits laitiers français, avec un chiffre d’affaires total à l’export pour l’hexagone de l’ordre de 45 millions d’euros en 2016, majoritairement sous forme de fromages (~34 millions d’euros) et de protéines laitières (~9,6 millions d’euros). Ces exportations représentent en termes de chiffre d’affaires à peine 1% des 6 milliards d’euros réalisés à l’export cette même année par les industriels français. À l’échelle de l’Union européenne, le Canada se trouve au 16e rang des pays clients pour les produits laitiers avec un chiffre d’affaires de 171 millions d’euros en 2018 (+26 millions € par rapport à 2017).

La Coordination Rurale souhaite nuancer les résultats apparents qui classent l’Union européenne au 8e rang des clients pour les produits laitiers canadiens, avec un chiffre d’affaires total de 2,851 millions d’euros en 2018, en nette augmentation par rapport à 2017 (+ 1,01 millions € avec + 2 500 tonnes). En effet, cette envolé du chiffre d’affaires est due à l’augmentation importante des volumes et cache en réalité une chute du prix des produits laitiers, passant de 2 359€/t en 2017 à 869 €/t en 2018, comme le montre le tableau ci-dessous.

Échanges Canada vers UE produits laitiers

La hausse des exportations canadiennes de +2 500 t pour l'année 2018 est essentiellement de la poudre lactosérum bien moins valorisé que les autres co-produits laitiers (environ 750€/t), ce qui explique en partie cette chute de prix, mais est-elle le résultat du nouvel accord de libre-échange Canada, États-Unis, Mexique (ACEUM) qui prévoit une ouverture du marché canadien de 3,59% avec des pertes de revenus pouvant aller jusqu’à 30 % pour certains producteurs canadiens ? Elles viennent diminuer la balance commerciale de l’Europe dont les exportations ont crû de 6 000 t en 2018. Enfin, quel est l’intérêt de l’Europe de valoriser une part infime de sa production (0,25 % de sa production fromagère) qui ne verra aucune retombées financière pour ses éleveurs, tout en mettant en péril la régulation exemplaire du Canada ainsi que les revenus de ses éleveurs ?

 

Que prévoit le CETA ?

Dans le cadre de l’accord avec le Canada, l’UE a obtenu un gain quant à l’accès au marché canadien pour les produits laitiers de l’ordre de 16 000 tonnes de fromages fins et de 1 700 tonnes de fromages dits industriels auxquels s’ajoutent 800 tonnes de fromages de qualité supérieure (contingent OMC existant), soit 18 500 tonnes au total. Ces contingents viennent s’ajouter aux 20 400 tonnes de fromages accordées par le Canada dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ce qui porte le volume exonéré de droits à environ 38 900 tonnes.

Il faut cependant relativiser l’importance du gain pour la filière laitière européenne, 18 500 tonnes de fromage représentent 0,25 % de la production totale de l’Union européenne. Concernant le marché des protéines laitières, il est déjà approvisionné par la filière américaine qui bénéficie d’un accès libre de droit au marché canadien dans le cadre de l’Alena (accord signé avec les États-Unis).

Depuis la mise en place provisoire du CETA et contrairement à leurs homologues canadiens concernant les contingents de viande bovine, les industriels européens ont rempli les contingents dans leur quasi-totalité.

 

Un accord préjudiciable pour les éleveurs canadiens comme européens !

La ratification du CETA est préjudiciable pour les éleveurs situés sur les deux continents. Pour l’un, la part de marché laitier régulée par les quotas se réduit au profit des importations européennes. Le lait canadien possède des coûts de production plus élevés qu’en Union européenne (0,65€/L au Canada contre 0,40-0,45€/L en UE).

Pour l’autre, les tonnages obtenus par l’UE s’avèrent dérisoires au regard des tonnages de viande qui l’envahiront (65 000 tonnes de viande de bœuf et 85 000 tonnes de viande de porc, contre 17 700 tonnes de fromage exportées). De plus, l’arrivée sur le marché européen de contingents importants de viande verra inéluctablement le cours de la viande bovine chuter ce qui pénalisera les éleveurs laitiers (vaches de réforme) et allaitants.

Avec le CETA, l’Union européenne bénéficie d’un contingent d’exportation à droit nul à destination du Canada de 18 500 tonnes. Ce contingent représente 4% de la consommation de fromage canadienne mais 32% de la consommation de fromages fins : l’importation de ces contingents touchera donc fortement les producteurs laitiers canadiens, et particulièrement les québécois, province produisant la majorité des fromages consommés au Canada (50% de la production canadienne et 60% des fromages fins).

Étant donné qu’une grande majorité des pays, comme le Brésil, la Chine, les États-Unis, la Norvège… protègent leur agriculture, développer des échanges de viande jusqu’ici minimes, donc non indispensables, ne peut, semble-t-il, que bénéficier aux multinationales telles que JBS, Cargill ou encore Tyson, non soucieuses du plan climat, mais qui implantées géographiquement dans les deux parties signataires de l’accord, profitent pleinement de la chute des coûts d’approvisionnement ! Au regard de la course aux rachats de sociétés à l’international, pour être présents partout, comme l’illustre la dernière acquisition de Lactalis au Brésil, l’intérêt est certainement le même pour les industriels laitiers !

Les agriculteurs européens apparaissent donc bien comme les sacrifiés de cet accord de libre-échange, puisque le gouvernement canadien a déjà alloué un plan d’aide de 3,9 milliards de dollars pour les producteurs de lait, volaille et œufs quand l’Europe ne prévoit rien pour les siens dans le cadre du CETA.

 

Le combat continue

Comme le prévoit le protocole de ratification, le vote du CETA passera au Sénat à l’automne 2019 et s’il n’y a pas de ratification par la deuxième chambre, repassera devant l’Assemblée nationale. Même si cela sera difficile, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour emporter ce rejet. Continuons à interpeller nos sénateurs et députés pour qu’ils prennent la mesure de leur décision, entraînant une véritable catastrophe pour nous agriculteurs !

La Coordination Rurale s’indigne du fait que l’agriculture soit la variable d’ajustement sacrifiée au profit d’autres secteurs. Pour cela, le syndicat revendique que l’exception agriculturelle soit reconnue tant au niveau européen qu’international, placée sous l’égide de l’ONU, et qu’elle permette de sortir les produits agricoles de ces négociations.

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