En pleine pandémie de Covid-19, la commission européenne et son commissaire européen au Commerce Phil Hogan ont annoncé la conclusion des négociations du nouvel accord commercial avec le Mexique, qui verra l’importation de nombreux produits agricoles bénéficiant de droits de douanes préférentiels. Cet accord verra chaque année l’importation de plusieurs milliers de tonnes de produits issus de l’élevage (notamment 20 000 tonnes de viande bovine) ainsi que des milliers de tonnes de miel et de sucre. Après le CETA, le Mercosur, l’Océanie, les États-Unis… C’est au tour du Mexique d’avoir un accord de libre échange avec l’Union européenne et venir déstabiliser un peu plus les marchés agricoles et les standards de production européens, considérés comme les plus élevés à l’échelle mondiale.

Un énième accord, aussi néfaste pour les agriculteurs européens que mexicains

Dans son tweet se félicitant de la conclusion de l’accord de libre échange, le commissaire européen au commerce évoquait des bénéfices en terme de support aux économies des partis prenants, de l’emploi ou du développement durable (ce dernier point reste difficile à admettre tant il s’agit de démultiplier le nombre de cargos portes containers extrêmement polluants sur les eaux de l’Atlantique). Mais c’est bien l’agriculture, au centre de cet accord, qui sera la variable d’ajustement, et ni les agriculteurs européens, ni les agriculteurs mexicains n’y trouveront d’avantages.

Cet accord prévoit ainsi l’importation en Europe de 20 000 tonnes équivalent carcasse (tec) de viande bovine mexicaines, à droits de douanes réduits à 7,5 %. Parmi les autres produits agricoles figurent notamment 10 000 tonnes de volaille et 10 000 tonnes de viandes de porc, totalement exonérées de droits de douane, et à des niveaux sanitaires inférieurs aux standards européens. Du sucre, de l’éthanol et du miel complètent la liste des produits qui seront importés à des droits douanes réduits. En contrepartie, l’Union européenne voit 340 de ses indications géographiques reconnues sur le territoire mexicain, et pourra exporter des produits laitiers dont notamment 20 000 tonnes de fromages affinés, 5 000 tonnes de fromage frais ou 50 000 tonnes de poudre de lait écrémée.

L’adoption d’accords de libre échange permettant l’envoi de produits laitiers contre des contingents de viande bovine a déjà été vu par le passé, notamment dans le cadre du CETA. Ce dernier permet l’export de 18 500 tonnes de fromage européen vers le Canada (détruisant par la même occasion la filière laitière canadienne) en échange de 65 000 tonnes de viande bovine nourrit aux farines animales. Résultat : après une entrée provisoire de l’accord en 2017 et un remplissage des contingents européens en fromage en quasi-totalité, les éleveurs laitiers européens n’ont pas bénéficié de prix à la hausse. Il est donc totalement utopique de se réjouir de la conclusion de ce nouvel accord, qui, s’il doit apporter une quelconque plus-value, ne bénéficiera qu’aux acteurs industriels et ne sera pas répercuté sur les prix aux éleveurs.

Des bovins nourris aux farines animales et aux hormones de croissance

Signé le 8 décembre 1997, l’accord de partenariat économique, de coordination politique et coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et le Mexique, d’autre part est entré en vigueur le 1er octobre 2000 et permet le libre échange de produits industriels entre les deux partis. Les produits agricoles en sont initialement exclus pour des raisons de traçabilité et de risques sanitaires émanant des produits agricoles mexicains. En avril 2018, cet accord a été « modernisé » et a libéralisé 85 % des lignes tarifaires qui n’avaient pas encore été libéralisées, dont la viande bovine.  Alors que les normes de traçabilité au Mexique n’ont pas évoluées depuis les années 2000, qu’est-ce qui justifie l’importation massive de viande bovine aujourd’hui alors qu’elle était proscrite hier ?

La production de viande bovine au Mexique est principalement destinée au marché américain, et répond ainsi à ses standards de production. Cependant, ces standards sont loin de correspondre aux standards européens : quand la traçabilité française impose aux différents opérateurs de pouvoir justifier du lieu de naissance jusqu’au lieu de transformation de la viande, celles pratiquées au Mexique (comme au Canada, USA et pays du Mercosur) n’imposent aucune traçabilité individuelle mais seulement par lot. Aucune transparence des pratiques n’est donc envisageable dans ces conditions. De plus, l’utilisation des farines animales, interdites en Europe depuis 2001, et d’activateurs de croissance dans l’alimentation des bovins, interdits en Europe depuis 2006, sont la norme au Mexique.

Relocaliser l’agriculture... ou la mondialiser ? Sortons du double discours !

En parallèle de la signature de cet accord, la Commission européenne développe une stratégie "de la Fourche à la Fourchette" dans le cadre de son "Green Deal" qui vise à garantir aux citoyens un approvisionnement sûr en aliments sains et de qualité. On peut notamment y lire que "l'Europe y parvient grâce à des politiques européennes qui soutiennent l’agriculture durable, les produits de qualité, le développement durable, la pêche et l’aquaculture, la sécurité alimentaire et la traçabilité, la santé et le bien-être animal et la résistance aux antibiotiques." Il y a clairement un double discours que la Commission refuse d’admettre et qui est insupportable pour les éleveurs européens.

Ce double discours est également pratiqué par les responsables politiques français, à l'instar d'Emmanuel Macron qui a déclaré, pendant la crise du Covid-19 que « déléguer notre alimentation était une folie » et qu’il était prêt à adopter les décisions de rupture nécessaires à y remédier. La Coordination Rurale lui demande donc de rallier le Conseil européen pour faire bloc contre la frénésie libérale de la Commission et ainsi s’inscrire en cohérence avec ses déclarations.

La Coordination Rurale défend l'exception agriculturelle (ou exception agricole) depuis sa création, et estime qu'elle est la seule solution pour permettre à chaque pays de déconnecter ses prix agricoles des cours mondiaux, ainsi que de sortir l'agriculture des accords de libre échange. Elle se félicite qu'elle ai été à de nombreuses reprises citée dans la déclaration de responsables politiques pendant la période de crise liée au Covid-19, mais attend désormais que les paroles passent aux actes !

Lire aussi notre communiqué de presse : La Maison brûle, Phil Hogan remet de l'huile

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