En Allemagne, toute une histoire

Le système économique allemand est-il aussi bon et efficace qu’aimeraient nous le faire croire nos dirigeants politiques et industriels ?

La division historique entre l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est s’avère encore très prégnante au niveau agricole : les structures de l’Ouest demeurent plutôt familiales, de taille classique à entrepreneur unique (Bavière : 36 vaches par producteur en moyenne), à l'opposé des grands élevages de l'Est comptant 188 vaches en moyenne, issus d’un héritage de la politique agricole socialiste de la RDA et où les sociétés agricoles et les coopératives jouent encore aujourd’hui un rôle important, notamment sur des grandes exploitations principalement tournées vers les cultures ou le maraîchage. L’élevage intensif, avec des fermes industrielles très automatisées et pouvant atteindre des centaines voire de milliers d’animaux, se situe dans le Nord du pays. Ce système a d’ailleurs inspiré la ferme des 1 000 vaches, projet controversé dans la Somme.

La part de l’agriculture dans le PIB national s’élève à 0,7 % (1,7 % en France en 2015). L’emploi agricole, amont et l'aval compris, représente 10,9 % de la population active. L’Allemagne est le 2ème importateur mondial de produits agroalimentaires et le 3ème exportateur mondial, juste devant la France. En production laitière, avec 21 % de la collecte européenne, contre 17 % pour la France (données 2015), l’Allemagne occupe le rang de première puissance d’Europe.

Destruction programmée de l’agriculture familiale ?

La disparition des exploitations agricoles Outre-Rhin s’accélère : leur nombre a chuté de 283 600 en 2013 à 250 000 en 2016, soit une diminution de 4 % par an alors qu’elle n’était que de 2,2 % avant 2013. A titre comparatif, la France compte 470 000 exploitations agricoles avec une population pourtant inférieure de 18,6 % à celle de l’Allemagne. Ces disparitions se situent principalement à l’Ouest de l’Allemagne, où les exploitations historiquement familiales souffrent d’un problème de compétitivité au même titre que nos fermes françaises.

Ainsi, en 2016, le nombre d’exploitations laitières a chuté de 8,2 % ce qui n’a pas empêché le cheptel allemand d’augmenter de 50 000 vaches entre 2016 et 2017 passant alors à 4,27 millions d’animaux. Sur cette même période, le cheptel français oscillant autour de 3,8 millions d’animaux est resté stable. La disparition d’exploitations avec une croissance du cheptel génère l’accroissement de la concentration d’animaux par élevage passant de 56 en 2014 à 60 en 2016. Ce système induit donc un regroupement de structures, de plus gros élevages et de moins en moins d’éleveurs…

Un secteur laitier en perdition

En novembre 2013, bien avant la fin des quotas laitiers, le prix moyen du lait était à un maximum 42,46 cts/L. Mais la fin des quotas cumulée à la chute des exportations vers la Russie ont causé une chute conséquente de 35 % à 50 % des prix, les faisant descendre entre 23,18 cts et 27,75 cts/L, voire en-dessous des prix de 2009. En Saxe-Anhalt, les prix sont même tombés à 15 cts/L, prix estimé ruineux par les éleveurs. En 2016, enregistrant une chute de revenus de l’ordre de 30 % en l’espace de quelques semaines, les agriculteurs ont mené plusieurs actions envers les laiteries. La laiterie DMK a notamment été bloquée par environ 120 éleveurs mécontents des prix payés autour de 20,24 cts/L.

400 / 450 € : pas utopique en Allemagne non plus !

Après une période plus faste fin 2017 avec un prix d’environ 40 cts/L, la désillusion est de nouveau au rendez-vous début 2018 avec des prix annoncés autour de 30 cts/L. Selon Peter Schumman, président du BDM (Bundesyerband Deutscher Milchviehalter), le prix devrait pourtant se situer entre 40 et 45 cts/L pour qu’une exploitation laitière fonctionne de façon rentable . Ce niveau de prix est corroboré par les 41,17 € de coûts de production moyens 2016 estimés par l’EMB.

Des aides compensatoires de l’État perçues comme insuffisantes

Le Gouvernement allemand s’est engagé en 2016 à un versement direct d’au moins 100 millions d'euros correspondant à une aide de 1500€ / mois par exploitation, pour une perte moyenne de 2500€ / mois. Après avoir annoncé le déblocage de cette enveloppe, le ministre de l’agriculture et la chancelière allemande ont reçu par courrier le mécontentement de six Länders qui réclamaient un conditionnement de cette aide avec l’engagement d’une réduction de la production. Ce positionnement met en exergue la fracture idéologique qui existe entre les Länders et le gouvernement.

Rappelons qu’en 2010, le secteur laitier allemand avait déjà reçu près de 750 millions d’euros, afin d’anticiper la fin des quotas et lui permettre de « l’aider à se restructurer pour l’après-quotas » (extrait de l’Allemagne laitière : la récréation est terminée Edition 2010 du Milch Forum Berlin, 18-19 mars 2010) preuve que cela n’est pas suffisant… Ces versements à répétition prouvent bien que le système suivi n’est pas viable pour les éleveurs. Seuls « Des prix, pas des primes ! » permettront la pérennité des exploitations et redonneront un revenu et de l’indépendance aux producteurs ! Cette politique destructrice pour les producteurs favorise le maintien des prix bas chez les discounters !

Le discount : les producteurs passent à la caisse…

Dans les enseignes de distributions allemandes, la compétition fait rage sur les prix alimentaires discount. D’ailleurs, où trouver des produits alimentaires moins chers qu’en Allemagne ? A part dans un pays en crise comme en Grèce (Euractiv Allemagne). Chez les discounters, le lait a même été vendu à un prix inférieur à celui de l'eau ! Scandaleux ! A cette occasion, le Ministre de l’agriculture de Saxe avait déclaré : “Si un litre de lait coûte moins cher qu’un litre d’eau minérale, c’est que les choses vont très mal”.

Néanmoins, si les allemands sont sensibles à la qualité des produits, ils sont peu enclins à dépenser plus pour s’alimenter. Les enseignes hard discount l’ont bien compris ! Résultat : près de la moitié des allemands font leurs courses dans des enseignes hard-discount telles que Lidl ou Aldi. Une véritable épine dans le pied des producteurs !

Cette stratégie des prix bas, sur les produits laitiers notamment, s’avère totalement incompréhensible. Pour preuve, récemment, le prix d’une plaquette de beurre est passé de 1,99 € à 1,59 puis 1,29 entre janvier et février 2018 dans un contexte de nouvelle hausse de prix !

La filière laitière allemande s’organise

Que ce soit en France, en Allemagne ou dans d’autres pays européens, la libéralisation des quotas laitiers en Europe (2015) a généré les mêmes effets : une chute des prix liée à une augmentation généralisée de la production qui a rendu, entre autres, le marché laitier allemand excédentaire.

Avec l’instauration du paquet lait Européen en 2012, afin de mutualiser les efforts et bénéficier d’appuis supplémentaires, La filière s'est organisée en OP et AOP (Association d’Organisation de Producteurs). Ainsi, la BayernMeG regroupe pas moins de 121 OP et coordonne la commercialisation de 5 Mds de litres de lait produits par 15 000 producteurs répartis dans dix Etats fédéraux allemands.

Cela n'empêche pas qu'en avril 2018, 1 000 éleveurs, répartis sur l’ensemble du territoire allemand et pesant 900 millions de litres, se sont retrouvés sans collecteur après que leur négoce, BMG (Berliner Milcheinfuhrgesellschaft), se déclare en faillite. La situation de l’entreprise était déjà en bien mauvaise posture en ce début d’année, avec des prix annoncés à 150€/1000L pour un tiers des volumes collectés annuellement. Une solidarité s’est vite mise en place au travers des coopératives et l’ensemble du lait a réussi à être collecté chez les éleveurs, mais à un prix dérisoireAutrement dit, s'organiser c'est bien mais il faut surtout peser et disposer d'une gestion des volumes encadrée pour ne pas rendre les OP ou AOP concurrentes !

D’agriculteurs à énergiculteurs

Profitant de l’effet d’aubaine offert par la sortie du nucléaire civil Outre Rhin, de nombreux producteurs se sont lancés dans la méthanisation des effluents d’élevage pour compenser les pertes subies en production laitière. La méthanisation nécessitant beaucoup de végétaux en compléments des excréments de vaches, des milliers d’hectares supplémentaires de maïs et de betteraves sont alors cultivés non plus pour nourrir le bétail mais pour alimenter les méthaniseurs.

En 2005, Marc Benninghoff, éleveur laitier, disposait de 75 vaches laitières. Suite à la loi baptisée EEG très incitative sur les énergies renouvelables, il a agrandi son troupeau et est passé à 1200 vaches laitières en 2014. Il a pu mettre en place dans la foulée deux unités de méthanisation de 250 et 265 KW qui tournent essentiellement au lisier. Devenu “gérant” d’une structure qui trait 24h/24 et qui dispose d’une quinzaine de salariés (payés moins de 8€ de l’heure), il estime la rentabilité de l’atelier énergie bien supérieure à celle du lait dont la rentabilité avoisine les 10 %.

Cette politique agricole incite donc une poignée d’éleveurs à devenir de véritables PDG de grandes structures engendrant parallèlement la disparition des petits producteurs ne pouvant survivre de leur atelier lait avec un prix de 25 cts/L. Les éleveurs ayant opté pour la production d’énergie ne sont pas sans avouer que la viabilité de leur structure ne tient qu’à l’atelier énergie. Ainsi, Didier Forget, producteur français, a déclaré qu’avec un prix du lait si bas, les revenus provenant des subventions à l’énergie produite sont les seuls qui permettent d’éviter la faillite ! De là à dire que la production laitière va devenir un sous-produit de la méthanisation, n’y aurait-il pas qu’un pas…

Flambée du prix du foncier

L’accroissement des cultures pour la méthanisation contraint les éleveurs à acquérir de nouvelles terres, d’où une flambée du foncier outre Rhin. Entre 2008 et 2013, le prix des terres agricoles a augmenté de 53,7 % dans les länders de l’Ouest et de 154,2 % dans les länders de l’Est où l’état souhaite vendre la totalité des terres agricoles et des forêts avant 2030. L’organisme chargé de les commercialiser vend au plus offrant. Ne pouvant rivaliser avec les spéculateurs, de nombreux exploitants ont alors dû cesser leur activité. Leur nombre a été divisé par presque deux en dix ans dans le Brandebourg.

Ce n’est pas sans danger. Ainsi, le géant industriel agroalimentaire européen KTG Agrar, exploitant par ailleurs 46 000 ha en Allemagne et en Lituanie et produisant du biogaz, s’est retrouvé lui aussi en faillite récemment. Cette faillite a relancé le débat sur les régulations foncières en Allemagne et a remis en avant les atouts de l’agriculture familiale : les capitaux extérieurs à l’agricole quittant généralement plus tôt le secteur en cas de crise.

Le lait sans OGM, déjà en 2008 … mais toujours pas valorisé à son juste prix !

Le lait produit sans organisme génétiquement modifié a le vent en poupe en Allemagne et les consommateurs font preuve d’un réel engouement pour les produits alimentaires estampillés du logo. En avril 2017, il y avait sur le marché allemand plus de 6000 produits alimentaires disponibles arborant le logo. Pour les produits laitiers, cela représentait environ 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaire, soit environ 15% du marché ! Les consommateurs allemands adeptes du sans-OGM sont de ce fait devenus dignes d’intérêt Outre-Rhin par des industriels français comme Sodiaal. La coopérative a trois sites français (Guingamp, Langres, Puy en Velay) impliqués dans la démarche et 200 éleveurs engagés dans le respect du cahier des charges allemand (label vlog).

Ainsi, les exigences vis à vis des producteurs augmentent pour établir comme un nouveau standard mais sans que la plus-value tirée par les industriels ne soit répercutée équitablement sur l’achat du lait aux éleveurs : la valorisation du lait sans OGM ne s’élève qu’à 10€/1000L sur le prix payé aux producteurs, dérisoire ! Et demain, en France ?

Le lait, ses nombreuses qualités et ses bienfaits pour la santé valent au minimum un revenu digne par les producteurs en plus d’une meilleure considération !

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