UNE AGONIE SPASMODIQUE

De 1995 à 2015, soit en 20 ans, l’agriculture guadeloupéenne a connu un déclin sans commune mesure. Une baisse annuelle d’environ 1 000 ha soit une perte de plus du 1/4 de la surface agricole utile (SAU), et la disparition de plus de la moitié des agriculteurs, essentiellement les petits.

Il est certain que depuis les sécheresses de 2014 et 2015 puis les fortes pluies de Matthew en 2016 - phénomènes climatiques pour lesquels plus de 80 % des dossiers de demande d’indemnisations ont été rejetés par l’administration - ainsi que les gros dégâts consécutifs au passage de l'ouragan Maria cette année 2017, cela va être l’hécatombe pour de très nombreux petits agriculteurs qui n’auront pas les moyens de relancer leurs activités.

La Guadeloupe a produit jusqu’à : - 1 000 000 de tonnes de canne à sucre - 150 000 tonnes de bananes export - 100 000 têtes de bovins Aujourd’hui, hors intempéries : - 500 000 à 600 000 t de canne à sucre - 70 000 t de bananes - 50 000 têtes de bovins

Ces chiffres démontrent que les politiques agricoles imposées depuis des décennies sont des échecs. C’est clairement l’accompagnement et l’aide à la petite paysannerie qui a cruellement fait défaut depuis des décennies.

On parle régulièrement de l’intérêt de préserver, voire de développer les systèmes diversifiés « d’agriculture familiale », des « jardins créoles » mais tout cela n’est que du verbiage ; la réalité est diamétralement opposée.

On constate au contraire l’assassinat sournois des petits agriculteurs dans l’indifférence totale de notre classe dirigeante qui, il est vrai, n’est pas issue de cette catégorie sociale. Par contre, ils se gargarisent dans leurs beaux discours de termes à la mode tels que biodiversité, richesses naturelles, écologie, etc…

Or, ce sont les petits agriculteurs qui pratiquent ces systèmes diversifiés de polyculture/élevage, peu utilisateurs d’intrants chimiques (engrais, pesticides) et d’alimentation animale industrielle OGM, et qui fournissent en denrées 70 % de la consommation de produits maraîchers, vivriers et fruitiers sur le marché local.

A QUI PROFITE LE CRIME ?

Il faut savoir que nous sommes pour l’Europe, et en particulier la France, une zone d’exportation comme n’importe quel pays étranger. Ce statut douanier permet de subventionner les productions européennes à l'export.

Le taux de couverture de la Guadeloupe en 2015 était de 8 %, soit 2,6 milliards d’euros d’import contre 230 millions d’euros d’export.

La production pour le marché local a été sacrifiée au profit des sociétés d’import et des productions d’export bananes, sucre, melons d’hiver dont les plus-values sont réalisées en Europe par des sociétés européennes. En effet, les productions d’export bénéficient très largement de subventions européennes dans le cadre de l'Organisation commune des marchés (OCM).

Ces accords, obtenus de hautes luttes - exemple pour la banane : blocage des ports et aéroports de Guadeloupe et Martinique - sont constamment remis en cause par les chantres de la finance, EXPLOITEURS sans vergogne des terres et populations des pays du sud, et ceci par le truchement de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui prône la politique du « libre échange » dans l’esprit du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), en français Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).

Il est loin le temps où le Général de Gaulle avait instauré le principe qui imposait de réserver les 2/3 du marché français aux bananes des Antilles, et le reste, aux pays tiers.

Aujourd’hui, c’est l'Union européenne qui dicte ses lois à la France. Quand, de plus en plus, est dévoilé le fonctionnement de cette institution sous la coupe et l’influence des lobbies financiers et industriels, on comprend mieux les désastres constatés au niveau de notre économie agricole locale. Les jours de la canne à sucre sont comptés avec la fin annoncée des quotas.

Les produits agricoles n’ont plus de valeur intrinsèque, ce sont les « aides » qui font le revenu des agriculteurs. Aussi suffit-il d’une défaillance du système de paiement de ces aides, pourtant dues, pour mettre en grandes difficultés les petits agriculteurs dépourvus de trésoreries, et donc en incapacité d’avoir recours aux prêts bancaires faute de garanties suffisantes.

QUELLES PERSPECTIVES ?

Si l’héritage colonial voudrait que les colonies fournissent la « métropole » en produits exotiques, impossibles à cultiver sur son sol à des coûts de productions particulièrement bas, les données ont considérablement changées actuellement avec la mondialisation et l’évolution réglementaire. La problématique n’est plus la même, mais le mode de gouvernance reste profondément ancré dans un fonctionnement oligarchique centralisé à Paris.

Nous sommes constamment « roulés dans la farine ». Par exemple quand on nous fait l’éloge d’une centrale thermique qui utiliserait de la « biomasse », en l’occurrence la bagasse issue de la canne à sucre, il faut savoir que pour produire la chaleur nécessaire à l’obtention de la vapeur pour faire tourner les turbines toute l’année, il est brulé 10 fois plus de charbon, arrivé par bateau et acheminé par la route, que de bagasse ; et que la consommation d’eau, prélevée sur le réseau agricole est de 1 500 000 m3 tandis que, au plus fort de notre saison de « carême », période sèche aux Antilles, l’eau destinée aux plantations est rationnée voire coupée.

Autre exemple : il y a eu plusieurs « plans chloredécone » de plus de 30 000 000 d’euros chacun. A quoi ont-ils servi pour le monde agricole, notamment pour les petits agriculteurs de montagne les plus impactés, avec bien sûr les consommateurs ? Nous sommes en droit de nous poser des questions sur l’utilisation de ce fonds. Sont-ce des fonds perdus ? Sûrement, pas pour tout le monde !

Aujourd’hui, toutes ces terres de la montagne du sud Basse-Terre sont, soit en friches, soit occupées par des "inconnus administratifs" qui produisent sur sols contaminés essentiellement des tubercules interdites à la culture par arrêté préfectoral mais que le Guadeloupéen consomme allègrement en s’empoisonnant, ignorant leur provenance puisque passés par plusieurs intermédiaires, chacun y trouvant son compte.

Quand on questionne les services de l’État responsables du contrôle, il est répondu : « on sait, mais quand on arrive sur les lieux, ils partent en courant parce qu’ils ne sont pas en règle et donc on ne peut rien faire ». On peut se demander si la réponse serait la même s’il s’agissait de plantations de cannabis... Mais ce sont des patates douces, des madères, des malangas, dont les autochtones raffolent. Tant pis s’ils s’empoisonnent, un peu plus ou un peu moins…

Mais ne mettons pas tout sur le dos de l’État, en particulier sur ses représentants locaux, de passage chez nous peut-être davantage pour les « primes d’expatriation et d’éloignement ». Nous sommes aussi coupables de la situation en n’ayant pas suffisamment communiqué - il est vrai que nous sommes un peuple de l’oralité - en acceptant docilement notre sort, sans révolte autre que « sous le manguier ». Nous sommes pourtant nombreux à être conscients de la situation et de l’impérieuse nécessité de changer de cap mais nous sommes ankylosés par l’inertie et l’incompétence de nos représentants.

D’ailleurs, comment comprendre que nous ayons accepté à plusieurs reprises que les élections de la chambre d’agriculture soient plus qu’entachées d’irrégularités connues de tous, à tel point que c’est le préfet qui, cette fois, a porté devant le tribunal administratif, pour fortes présomptions de fraudes, les résultats de la dernière élection partielle. Sous d’autres cieux et avec une autre mentalité collective, les fautifs seraient destitués et punis, mais nous sommes en Guadeloupe !

Faut-il, pour autant, rester spectateurs de notre mise à mort ? J’exulte mes compatriotes, tous secteurs d’activités confondus, mais surtout mes collègues « petits agriculteurs » à réagir. Refusons de « déposer les armes », de capituler !

Il est vrai qu’avec un président de chambre d'agriculture qui sort ses revenus de ses divers mandats politiques et non de l’agriculture, d’une secrétaire générale qui est commerçante de tissus et qui n’a même jamais planté ne serait-ce qu’un plant de cive, pour ne citer que ceux-là, l’agriculture guadeloupéenne aura bien du mal à retrouver la respectabilité et l’écoute qu’elle devrait être en droit d’avoir. La politique du « bay favè ou fan’n kiou » (favoriser ou pénaliser) doit cesser. Le clientélisme électoral comme les distributions de billets d’avion pour le Salon international de l’Agriculture à Paris, et autres petites et grosses combines que nous aurons l’occasion de dénoncer prochainement, devraient couvrir de honte ceux qui en usent.

Certains anciens syndicats agricoles locaux ont eux aussi leurs part de responsabilités dans cette débâcle. La confiance ne règne plus pour cause de favoritisme avéré au profit de quelques-uns, en montage de dossiers de subventions parfois sur des productions fictives, en attribution de terres au nom sacré du peuple guadeloupéen

Nous, à la Coordination Rurale 100% Agriciltè Gwadloup, nous voulons croire en un sursaut salutaire pour notre profession. Nous revendiquons un droit à la prise de décision dans l’intérêt des petits agriculteurs et du développement économique harmonieux et solidaire de notre territoire. Nous voulons un système de polycultures/élevages soutenu afin de diversifier autant les productions que les revenus, de satisfaire d’avantage notre marché local en produits agricoles frais, sains et réguliers.

Si rien n’est entrepris dans ce sens au plus tôt, que chacun prenne ses responsabilité face à une réaction que nous qualifierons de « bête blessée », qui dans les spasmes de l’agonie, rassemblerait ses dernière forces pour défier la mort et attaquer ses bourreaux.

A bons entendeurs, salut ! Le vice-président de la CR 100% Agriciltè Gwadloup Jean-Claude LOGNOS

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